I racconti del Premio Energheia Europa

La nouvelle plus rien, Elsa Viton

Nouvelle finaliste du Prix Energheia France 2023

Je viens d’avoir trente ans et je ne vis que pour mon travail. Littéralement. « Alma Fuchs, reporter » : cette phrase, je la prononce plus de dix fois par jour, inlassablement. Plus que toute autre, d’ailleurs. Comme ça me plaisait, les premiers temps. Je me sentais indépendante, visible, vivante, invincible. Et puis, le temps à fait son œuvre. J’ai voyagé, beaucoup, partout. J’ai rencontré des tas de gens, des bons et des mauvais, des célèbres et des anonymes, des drôles, des tristes, des sérieux, des déconnectés, des révoltés, des peureux, des riches, des pauvres, des heureux. J’ai fait le tour du monde, moi, Alma Fuchs, qui venait d’un petit village perdu au fin fond de la Bourgogne et qui rêvait d’autres horizons.

Ce matin, quand je me suis réveillée, tout a commencé normalement. Mon réveil a sonné à sept heures, je suis montée sur le vélo elliptique de ma chambre et j’ai pris mon petit déjeuner. Puis un appel inattendu a tout fait basculer. En sortant de ma douche, j’ai entendu mon téléphone sonner. « Tiago », affichait-il. Mon frère. Brusquement, je me figeai. Nous ne nous étions pas adressé la parole depuis des mois, peut-être même des années. Je n’en avais aucune idée. Tout ce que je savais, c’est qu’on ne s’appelait plus, et ce depuis longtemps – nous n’étions pas en froid, simplement éloignés par la vie. Plus jeunes, nous étions très proches ; et cet appel n’augurait rien de bon. Je repris mes esprits avant que son nom ne disparaisse de l’écran et décrochai. « Bonjour, Alma », dit cette voix douce et chaude qui m’avait toujours fait me sentir en sécurité. Puis elle s’étouffa. « Ecoute, je préfère aller droit au but. Papa est mort cette nuit ».

Un silence rugissant gronda à mes oreilles. Dans ma poitrine, mon cœur sembla tout à la fois exploser puis se rétracter. Papa est mort cette nuit. Ma bouche était si sèche que mes yeux salivèrent sans un bruit. Le vide que je ressentais au fond de moi depuis quelques temps déjà sembla tout à coup se creuser ; il m’engouffra tout entière. Les pâles premiers rayons du soleil furent éteints, vacillants comme la flamme d’une bougie en plein vent, et les ombres s’installèrent doucereusement autour de moi. Papa est mort cette nuit. Cette nouvelle me fit l’effet d’un coup de tonnerre lors d’une pluie d’été, lourde, poisseuse, inquiétante, inévitable. Fatale. « Alma, tu es là ? » s’enquit Tiago à l’autre bout du fil. Mais je n’étais plus là, je n’étais plus rien.