I racconti del Premio Energheia Europa

Apparences_Lucile Bloser-Kelkermans, Paris

Mention_Prix Energheia France 2017

Episode 1 

 

Il sortit de la bibliothèque en regardant vaguement ses pieds, perdu dans les pages du livre qu’il avait laissé derrière lui pour quelques instants. Il avait besoin de vider sa tête de toutes ces idées qui tournaient en lui mais qui n’étaient pas les siennes. Une fois dehors, il jeta un bref regard au banc sur lequel il aimait s’asseoir une fois la nuit venue. Il n’était bien évidemment pas libre. Il était trop tôt ou trop tard pour être seul. Il ne lui restait plus qu’à trouver un endroit pas trop sale où étendre ses jambes, tout lui conviendrait ce soir pour vu qu’il soit suffisamment loin des autres. Il n’était pas d’humeur ce soir à échanger des civilités. Il se sentait las, fatigué, comme si les récits qu’il venait de quitter avaient pris un peu de son âme avec eux. Il soupira et sortit son paquet de cigarettes mécaniquement. Il savait que ça au moins, ça lui procurait toujours le même sentiment de calme. Il ne savait pas si c’était le geste ou bien le tabac en lui même qui avait cet effet sur lui mais pour être sincère, à cet instant, il s’en moquait. Il voulait juste faire cesser le tambour qui résonnait dans son crâne et qui lui donnait l’impression que son cerveau allait exploser. Il regarda s’envoler les rond de fumée qui apparaissaient à chaque fois qu’il soufflait. Cela lui semblait presque poétique en cet instant. Mais il secoua la tête, ça ne l’était pas, ce n’était pas productif, mais qu’était il entrain de faire ? Il écrasa vivement sa cigarette contre le sol. Il n’aimait pas fumer, il ne devait pas fumer. Il perdait son temps comme toujours. Il pesta contre lui même en se relevant avant de remarquer une enveloppe posée par terre devant lui. Comment avait elle fait pour arriver là ? Personne ne s’était approché de lui depuis qu’il s’était assit et il était presque certain qu’elle n’était pas là quand il était arrivé. Il regarda autour de lui un instant, pour voir qui avait pu laisser tomber cette enveloppe mais rien n’avait changé, les autres continuaient de parler fort en l’ignorant, aucun n’avait l’air vraiment coupable. Il resta un moment là, à l’observer, il avait peur de la prendre et que son propriétaire vienne la récupérer en le traitant de voleur… Ou bien, en y réfléchissant, c’était tout de même bizarre qu’il ne l’ai pas remarqué plus tôt, il remarquait toujours tout. Peut être avait elle été laissé là exprès pour lui tendre un piège ? Y avait il quelqu’un qui attendait qu’il se penche pour la récupérer afin de lui tomber dessus juste après et l’humilier devant tous les autres ? Ou pire voulait on l’agresser purement et simplement ? C’était Paris après tout, ce genre de grande ville attire tout et n’importe quoi… Il secoua la tête à nouveau et attrapa l’enveloppe d’un geste vif. Il réfléchissait trop, il ne fallait pas qu’il se laisse dominer par ses pensées paranoïaques. Il attendit tout de même d’être assis à sa place dans la bibliothèque pour l’ouvrir. Elle n’était pas fermée et contenait une feuille blanche pliée en trois. Au milieu de cette feuille, il n’y avait rien d’autre qu’une adresse.

 

Episode 2

 

Il n’arrivait pas à dormir. Il était allongé sur son lit depuis plusieurs heures déjà mais malgré ses tentatives, le sommeil ne venait pas. Il pensait à la lettre. Il l’avait posée sur son bureau en rentrant, refusant d’y prêter attention, mais maintenant elle l’obsédait. Il ne pouvait pas la voir dans la position où il était pourtant il savait qu’elle était là. Il savait qu’elle était là, mais il avait envie de tourner la tête pour le vérifier et cela l’agaçait. Ce n’était pas rationnel, ce n’était pas lui. Il ne savait même pas pourquoi il ne l’avait pas jeté, il n’y avait aucune raison de garder cette adresse sur ce bout de papier vu qu’il ne lui était pas adressé. Il ne comptait même pas s’y rendre. Pourtant il l’avait gardé et elle était là, à le narguer et l’empêcher de dormir. Il secoua la tête, voilà qu’il recommençait avec ses élucubrations, non cette lettre n’était pas entrain de prendre du plaisir à le faire souffrir, les lettres ne font pas ça. Pourtant elle lui semblait presque vivante, rien que la manière dont elle était apparue montrait qu’il y avait quelque chose de louche. Quand il l’avait fourré dans sa poche, il n’avait pas réussit à la froisser, comme si elle le lui avait interdit, comme si elle se trouvait trop belle pour être chiffonnée, comme si elle savait qu’elle avait ce pouvoir sur lui. Il avait marché jusqu’à son appartement en feignant de l’oublier, en espérant peut être que de cette façon elle disparaîtrait et qu’ainsi sa vie redeviendrait simple. Comme si rien ne s’était passé. Pourtant il n’avait pas pu vraiment la lâcher. Tout les trois mètres exactement il se voyait mettre sa main dans sa poche pour la toucher du bout des doigts et vérifier qu’elle était toujours là, qu’il ne l’avait pas perdu. C’était assez étrange comme comportement pour quelqu’un comme lui. Il s’en fichait après tout de cette lettre, elle n’était même pas à lui. Mais pourtant, elle semblait comme lui brûler les doigts et lui semblait y prendre plaisir. Et ça non plus ce n’était pas normal. Il ne pouvait pas la toucher sans détester son existence et en même temps il avait besoin de la toucher pour s’assurer qu’elle était réelle. Il ferma les yeux en soupirant. Il faisait vraiment n’importe quoi depuis qu’il l’avait trouvé. Demain il irait la jeter et il reprendrait sa vie normale et délicieusement normée. Mais à cette pensée son cœur se serra et il pesta contre lui même en rouvrant les yeux. Il ne se comprenait pas. Son regard se fixa alors sur le plafond de sa chambre. Avec les filets de lumière que laissaient échapper ses vieux volets il pouvait facilement distinguer ses lames de bois. Alors le temps sembla s’arrêter. Il se savait pas pendant combien de temps il était resté à regarder droit devant lui comme ça mais bientôt il se sentit apaisé. Comme d’habitude. Ses idées lui semblaient plus claires à présent. Il s’inquiétait vraiment pour rien, il était normal que sa curiosité le pousse à vouloir se rendre à cette adresse, après tout les circonstances dans lesquelles il avait trouvé la lettre étaient quand même étranges et n’importe qui aurait eut les mêmes réactions que lui. Il se mit à sourire comme si toutes ses angoisses étaient oubliées. Oui demain il irait, il en avait le droit, mais pour l’instant il devait dormir. Il devait dormir. Ces mots résonnèrent dans sa tête durant plusieurs heures et l’empêchèrent de vraiment trouver le repos.

 

Episode 3

 

Il sortit du métro en serrant le papier dans son poing. Il ne restait plus qu’à traverser deux rues et il y était. Il se demandait ce qui pouvait se cacher derrière ce nom de rue, était-ce l’adresse de quelqu’un, allait il sonner chez un inconnu sans autre justification que « j’ai trouvé une lettre avec votre adresse » ? Allait il tomber sur des hommes armés qui allaient le dépouiller au fond d’une impasse ? Ou bien peut être que le numéro de rue était tout simplement bidon et qu’il aurait fait ce chemin pour rien. Il ne savait pas ce qui était pire, devoir expliquer à quelqu’un qu’il était un voyeur psychopathe qui se rendait chez les gens sans les connaître et sans aucune bonne raison ou bien de se faire agresser par des mecs qui ont l’air d’avoir le QI d’une demie-huître mais qui ont vraisemblablement la force d’Hercule et qui te menacent avec un couteau sale et rouillé si bien que même s’ils ne te tuent pas sur le coup en te plantant, tu meurs des suites du tétanos tout seul sur le trottoir. Enfin non pas le tétanos, il était vacciné, mais il devait sûrement y avoir tout un tas de maladies mortelles qui traînent sur le couteau d’un malfrat, il y en aurait bien une qui le tuerait de toute façon. Il tourna à gauche et continua à marcher en regardant ses pieds, il espérait ne croiser personne de sa connaissance et que tout ceux qui l’auraient vu l’oublieraient très vite…. Ou en tas cas seraient incapables de l’identifier. Mais en y réfléchissant cette adresse ne devait pas exister, c’était mieux comme ça, ça évitait les problèmes, et même s’il avait du prendre le métro et se retrouver collé à des individus louches et transpirants, il pouvait toujours prendre une douche, alors que guérir du tétanos non. Il leva les yeux, il était arrivé. Il se trouvait devant la porte ouverte d’un lieu inconnu et un homme avec l’air plutôt barbare et le crâne rasé le fixait accoudé derrière un bar. Il ne pouvait pas rester planté devant comme ça, il devait rentrer, il ne pouvait pas partir maintenant. Enfin il aurait pu mais il ne l’a pas fait, il avait du mal à réfléchir dans ce genre de situations et avancer avait été la seule chose que son corps avait réussit à faire.

_ « Le soirée c’est en bas. » lui grommela l’homme du bar.

Il se trouva donc à descendre l’escalier, laisser son manteau au vestiaire et avancer dans le couloir sombre. Il savait où il était maintenant et malheureusement il n’était pas chez un inconnu ou entrain de se faire inoculer une maladie à grand coup d’arme blanche, non , il se trouvait dans un « bar ». Il détestait et avait toujours détesté ce genre d’endroit. De plus, celui là était particulièrement angoissant car il avait été aménagé dans ce qui semblait être une partie des catacombes de la ville. Le plafond était bas, tant qu’il manqua de se cogner la tête. Et pourtant il n’était pas grand. Il lui semblait qu’il pouvait sentir le bout de ses cheveux frotter contre les pierres. Tout était composé de pierres ici et retenu par de grosses poutres de bois. Il fit une petite prière pour que celles-ci tiennent au moins le temps où il se trouverait là et tant pis pour les autres. Il n’était pas croyant mais dans ce genre de situation, toute aide était bonne à prendre. Il n’avait pas vraiment de scrupules. Après tout, il devait y avoir beaucoup d’humidité dans ce genre d’endroit  et le fait que le bar était partagé en de petite alcôves reliées par des couloirs n’était pas pour l’apaiser. Cela ne laissait aucune chance à quelqu’un comme lui de se mettre en retrait. Mais si ce n’était que le lieu, il aurait presque pu s’y faire, et ce bien qu’il lui semblait étouffer à chaque fois qu’il passait de salle en salle. Mais en plus, il y avait des gens dans ce bar, beaucoup de gens, et pratiquement tous étaient affublés de tenues qui rappelaient celles de l’époque des rois et des chevaliers. Depuis qu’il était entré, il avait croisé deux femmes de cours en longue robes qui riaient en laissant traîner leur manches par terre, il avait ensuite faillit être écrasé par un pirate avec un bandeau sur l’œil qui s’était penché sur lui en riant, lui postillonnant au passage sur le visage. Il avait même été apostrophé par une bohémienne qui voulait lui lire la bonne aventure en lisant sur les lignes de ses mains.Tout cela le mettait terriblement mal à l’aise, il n’avait qu’une envie en cet instant, fuir. Tout son corps lui disait de quitter ce repaire de fou dans lequel il était tombé. Ces gens qui faisaient la fête étaient tous des dangers potentiels, ils pouvaient à tout moment se retourner sur lui et l’égorger. Ils avaient le matériel pour. Ou peut être allaient ils le pendre, pour faire encore plus vrai dans leur jeu de cinglés, offrir au peuple le spectacle qu’il demande. Ils devaient bien avoir un bourreau quelque part, sinon l’homme qui l’avait accueilli à l’étage ferait très bien l’affaire. Mais non, le temps passait et rien n’arrivait, et il restait planté là à attendre que quelqu’un s’en prenne à lui. Mais eux, ils ne semblaient même pas lui porter attention, ils riaient tous ensemble, comme s’ils se connaissaient tous, et au final il n’était que la petite fourmi perdue de la fourmilière. Il n’aimait pas ça non plus, il voulait rentrer chez lui. Il regarda sa montre, cela ne faisait que dix minutes qu’il était là, il ne pouvait pas repartir maintenant, on détenait son manteau en otage, et cela ne se faisait pas de venir le récupérer aussi tôt, on allait le regarder de travers, lui demander ce qui n’allait pas, pourquoi il repartait déjà et il devrait se justifier… Non il devait tenir encore un peu, au moins quarante-cinq minutes, sinon ça n’avait pas de sens. Il se dirigea donc vers le bar pour commander quelque chose, mais pas d’alcool, il ne voulait pas être démuni de ses capacités intellectuelles dans un endroit comme celui là car vu son physique et celui de la majorité des hommes, et même des femmes, présents, ce n’était pas son corps qui le sauverait. Il se pencha donc pour tenter d’apercevoir s’il y avait une carte sur le bar et décida, vu la propreté de celle-ci, de simplement commander un jus de fruit. Il n’était même pas sûr de vouloir savoir ce qu’ils pouvaient servir d’autre. Une serveuse s’approcha de lui en souriant, elle portait un corset lacé marron sur un chemisier blanc beaucoup trop décolleté. Il retint un soupir de justesse en se disant que vraiment, ces gens là se semblaient pas connaître la pudeur. Ou la propreté. Ou le savoir-vivre. Il passa sa commande et la jeune fille repartit en souriant et en faisant tournoyer sa jupe derrière le comptoir. Il se prit alors à regarder la décoration du bar, juste pour passer le temps, pour oublier les gens qui se pressaient derrière lui… Il n’aurait pas du. On pouvait y voir toute sorte de bocaux remplis de ce qui devait avoir été autrefois des êtres vivants. Un squelette de dauphin et des crânes d’animaux étaient accrochés directement au mur. Tout cela lui donnait envie de vomir. Mais c’était sûrement des faux… ou pas d’ailleurs vu le genre des gens qui se trouvaient ici. Peut être allaient ils chasser tous ensemble à la fin de la soirée et celui qui ramenait le plus beau cadavre était sacré roi des fous et avait droit de le dépecer avec les dents… Et voilà qu’il recommençait à délirer, tout ces gens étaient sûrement très gentils, ils avaient juste des passions différentes des siennes, qui était il pour les juger après tout, lui qui passait ses journées dans les bibliothèques à fuir le monde et à maudire tous ceux qui l’approchaient d’un peu trop près… Et puis la femme revint avec un grand verre et son sourire qui n’avait pas diminué et il oublia instantanément ses belles pensées. Il espérait juste qu’elle poserait le verre sur le comptoir et qu’il pourrait le prendre en évitant tout contact mais non, elle le lui tendait chaleureusement et ne semblait pas décidée à baisser son bras. Il prit une grand inspiration et avança sa main. Il tressaillit au contact de la peau des doigts de l’inconnue et se mordit la lèvre, elle était chaude et rien qu’à la pensée de tout ce qu’elle avait du toucher avant de le toucher lui, il eu un haut de cœur. En une fraction de seconde, il vit tout, les bouteilles sales recouvertes de toiles d’araignées, les morceaux de viande crue qu’il fallait découper pour faire les amuses-bouches, les miettes de pain qui sont tombées sur la table quand le cuisinier s’est préparé un casse-croûte… Tout ça avait touché son doigt à lui… Puis le contact cessa et il se sentit mieux. Il regarda la jeune femme dans les yeux dans le but de lui sourire poliment mais elle s’était déjà tournée vers un autre client. Alors il regarda sa main, regarda autour de lui et se dit que vraiment cet endroit ne lui réussissait pas. Il se dégagea du bar et partit s’asseoir sur un tabouret en bois qui venait d’être abandonné par un homme d’une cinquantaine d’années. Quel imbécile, une place comme celle là on la garde jalousement, on la protège… En tout cas il ne la reverrait pas. Pourtant, tandis qu’il buvait son verre après avoir vérifié que c’était bel et bien du jus de fruit, il baissa le regard et son cœur manqua un battement. Juste à ses pieds se trouvait une enveloppe identique à celle qu’il avait trouvée la veille. Il ne voulait pas y croire, pas une nouvelle fois, lui qui pensait qu’il en avait finit avec ces mystères et ce stress qui l’avait empêché de dormir, il ne voulait pas trouver une autre lettre… D’ailleurs il n’allait pas la prendre. Il n’en avait pas besoin, et il allait partir. Et puis rien ne disait que cette enveloppe ci contenait elle aussi une adresse. Elle n’avait peut être rien à voir avec celle qu’il avait trouvé la veille. Puis il se rappela de l’homme qui était assit avant lui. Peut être était ce lui qui était derrière tout ça. Mais pourquoi ? Il ne le connaissait même pas ! Il devait comprendre, il devait lui demander, et comme cela il serait débarrassé de cette histoire et il pourrait l’oublier. Il savait que si tout s’arrêtait là, il ne pourrait jamais sortir cette histoire de son esprit. Il se saisit alors de la lettre et parti d’un pas vif dans la direction qu’avait suivit son inconnu. Mais il y avait trop de monde, et comme il bousculait tous ceux qui se trouvaient sur son passage, les autres commencèrent à lui lancer des regards mauvais. La fourmi intruse avait été repérée. Il se retrouva bientôt au milieu d’une pièce qui devait être la piste de danse et fit un tour sur lui même dans le but d’avoir une vue d’ensemble de la salle. Il l’aperçut derrière un groupe de filles qui dansaient en formant une ronde. Il les contourna comme il pu, non sans s’attirer quelques mauvaises réflexions et interpella l’homme. Celui ci se tourna vers lui l’air surpris, comme s’il ne savait pas qu’il était et osa même tout nier quand il lui montra la lettre. Mais ça devait être lui, ça ne pouvait qu’être lui, il l’avait retrouvé et maintenant il devait lui expliquer. Mais la discussion s’envenima, et l’homme commença à paraître menaçant, il semblait prêt à lui sauter dessus et l’épingler au mur. Alors il laissa tomber, il se dirigea vers la sortie avec rage, récupéra son manteau au passage et partit sans regarder personne. Seulement, il avait gardé la lettre. Il ne s’en aperçu vraiment que quand il fut chez lui, d’ailleurs il ne se rappelait pas ce qu’il avait fait sur le chemin du retour. Cela lui arrivait de temps en temps et il avait appris à ne pas s’en préoccuper. Tant qu’il était rentré le reste lui importait peu. Il se déshabilla puis s’allongea sur son lit. Il s’en voulait de s’être emporté comme ça, non pas parce qu’il avait importuné un ou deux imbéciles mais parce qu’il devait pouvoir se contrôler. Il soupira et attrapa le paquet de cigarettes qui se trouvait sur sa table de chevet. Normalement il ne fumait pas à l’intérieur mais pour ce soir il ferait une exception, il ne voulait pas se lever, il voulait rester là à regarder le plafond, même s’il ne savait pas vraiment pourquoi. Il en porta une à sa bouche et l’alluma. Au moment où il prit la première inspiration, il se sentit mieux. La sensation de fumée qui s’engouffrait dans sa gorge lui plaisait étrangement. Il souffla et regarda sa chambre devenir de plus en plus brumeuse que sa cigarette diminuait. Si seulement il pouvait rester là… Mais pourtant il n’était pas aussi calme qu’il voulait s’en persuader. Il la sentait, la lettre, comme si elle le fixait… Elle agissait exactement comme l’autre…Il avait beau feindre de ne pas y prêter attention, il voulait comprendre maintenant. Il devait comprendre. Il tendit le bras et l’attrapa avant de la regarder sans l’ouvrir. Qu’y avait il à l’intérieur ? Peut être rien, peut être était elle vide cette fois et alors il ne saurait jamais. Cette idée l’irrita et il l’ouvrit avec un peu plus de violence qu’il ne l’aurait voulu, arrachant un coin de la feuille qu’elle contenait. Elle ressemblait parfaitement à la précédente, même papier, même typographie et certainement même encre. Seule l’adresse était différente. Il n’aimait pas ça, ça ne pouvait plus être une coïncidence, quelqu’un les lui laissait intentionnellement. Elles étaient pour lui. Seulement il ne connaissait personne, ne côtoyait personne, et n’avait aucun ami qui aurait pu se jouer de lui de cette façon. Alors qui ? Et pourquoi ? Il saurait ! Demain il irait à cette nouvelle adresse et il retrouverait celui qui se moquait de lui histoire de lui mettre les points sur les i. Il ne se laisserait pas faire. Et c’est sur cette idée qu’il écrasa le mégot contre le mur derrière son lit avant de sombrer dans le sommeil.

 

Episode 4

 

Pourtant, quand il fut réveillé par la sonnerie de son téléphone au petit matin, il n’était plus très sûr de vouloir se rendre là où on lui avait donné rendez-vous. Il avait passé une nuit horrible, réveillé plusieurs fois par des cauchemars. De plus, l’escapade du jour précédent l’avait laissé dans un état dans lequel il n’avait pas été depuis très longtemps. Fumer sur son lit ? Il devait être fou, peut être que les autres l’avaient contaminé avec leurs bêtises. Ou alors on avait drogué son verre et il ne s’en était pas aperçu ! Mais oui ça devait être ça, ça expliquait tout, son attitude agressive, le fait qu’il était si las en rentrant chez lui, tout concordait avec l’absorption d’une substance illicite. Ça devait être cette fichue serveuse, trop souriante pour être sincère, il le savait. Il n’aurait qu’à faire plus attention ce soir, on ne le piégerait pas deux fois. Et c’est comme ça qu’il se retrouva le soir même ligoté à quatre inconnus dans une chambre plongée dans la pénombre. Tout avait été très vite, tout d’abord il s’était présenté à l’accueil du bâtiment où l’avait mené l’adresse dans l’espoir d’en apprendre plus sur les mystérieuses lettres. Et puis dieu sait comment, il avait été embarqué dans une sorte de jeu, du moins c’est comme cela qu’on lui avait présenté la chose.

_ « Ah désolé il vous manque une personne… Ah mais attendez, monsieur, vous vouliez bien vous ajouter au groupe ? Vous ne paierez rien… Ne faîtes pas votre timide… Aller super on fait comme ça ! Veuillez vous diriger vers la salle trois, on va s’occuper de vous. »
Sa maudite incapacité à dire non lui avait encore joué des tours… Et ce n’était pas la première fois ! Il faudrait vraiment qu’il songe à régler ce problème… Mais en attendant il fallait qu’il trouve un moyen de se sortir de là. Il regarda ses mains. Elles étaient solidement attachées par de la corde et celle ci le reliait aux quatre autres hommes qui étaient dans la même situation que lui. Mais eux ils souriaient ces imbéciles. De ce qu’il avait compris c’était une sorte de jeu. Puis son regard s’illumina de colère. Alors ce n’était que cela, il avait été victime d’une campagne publicitaire. Elle devait être organisée de concert par le bar et cet… endroit. C’était sûrement le même genre de fous qui venaient dans ces deux lieux. Et puis le fait que les deux lettres se ressemblent autant était beaucoup plus logique maintenant. Il soupira de soulagement et de dépit à la fois. Il s’était laissé avoir comme un idiot, et il s’était tourmenté pour rien.
_ « Bon alors, on fait quoi ? »
La voix le sortit de ses pensées en le ramenant brutalement à la réalité. Il fallait qu’il se détache. Les autres commençaient déjà à développer un plan qui lui semblait d’une banalité et d’une simplicité affligeante mais qui eu au moins le mérite de lui faire comprendre dans quoi il s’était embarqué. Le but était de sortir de cette pièce en utilisant les objets qu’on avait laissé à leur disposition et apparemment il y avait des énigmes et des puzzles à résoudre. Et dire qu’il y a des gens qui dépensent leur argent pour ce genre de futilité alors qu’ils pourraient… Il ne savait pas exactement, il pourraient acheter des livres par exemple. Ou économiser pour plus tard… Être responsable quoi. Au moins lui, ça ne lui avait rien coûté. Mais maintenant il devait sortir de là. Il cherchait donc une clé pour ouvrir le cadenas qui bloquait la corde au centre le la pièce. La sortie était en face et la porte entre-ouverte. Il suffisait de sortir par là. Dans la pièce se trouvaient de nombreux éléments de décoration, mais la plupart était certainement inutile pour lui. Il regarda les quatre hommes qui commençait à se lever et souffla de mépris. Ils n’avaient pas assez réfléchi, et déjà ils ne pouvaient s’empêcher de se lever. Encore un acte inutile. Il se leva néanmoins. Il allait suivre le groupe, ce serait juste un mauvais moment à passer, et au moins il ne s’attirerait pas de problème. Peut être qu’ils ne lui parleraient même pas, ce serait l’idéal. Ils réussirent à se saisir d’une boite qui était cachée derrière un tas de fausses pièces d’or et à l’ouvrir. Seulement alors la lumière s’éteignit et il ne pu se retenir de gémir. Et voilà maintenant ils allaient paniquer, et ils allaient certainement tirer sur la corde et lui faire mal. Il savait qu’ils auraient du jauger de la scène plus longtemps, il était évident que ce genre de chose allait arriver. Mais non, il fallait vivre l’instant, profiter… Comme ils étaient bête. Enfin après plusieurs minutes de souffrance physique et mentale, il fut libre et sortit de la pièce après les trois autres en les fixant avec un air mauvais. Il frotta ses poignets rougis par le frottement de la corde en regardant ses pieds pour ne pas trébucher sur une des bêtises qui jonchaient le sol de la pièce. Il faillit ne pas la remarquer d’abord. Mais elle était le seule chose propre dans la salle, la seule qui n’était pas recouverte de fausses toiles d’araignées stupides. Il était obligé de la voir, elle dénotait dans l’ensemble, trônant fièrement sur un tonneaux qui était certainement vide de vin. Une lettre. Encore. Il hurla de rage et donna un coup de pied dans le tonneau qui valdingua contre le mur dans un grand fracas. Ce n’était pas possible. Cela ne se pouvait pas. Si c’était juste une offre promotionnelle, pourquoi y en avait il encore une ici. Cela le rendait fou. A chaque fois qu’il pensait s’être débarrassé d’elle, chaque fois qu’il pensait avoir comprit, elle revenait. Pourquoi les imbéciles avant lui ne l’avaient ils pas pris ? Il en aurait été libéré. Peut être parce qu’il était le seul à pouvoir la voir dans le pêle-mêle des objets à thème. Le seul à pouvoir la voir… Mais oui, quelqu’un jouait vraiment avec lui ! Peut être que quelqu’un l’observait en ce moment même. Il se tourna brusquement et entendit des pas pressés qui se dirigeaient vers lui, sûrement alertés par le bruit. Il se pencha vivement et attrapa la lettre. Il ne se laisserait plus faire. Il allait chasser la personne qui lui avait fait subir tout ça et une fois qu’il l’aurait trouvé, il lui ferait regretter de l’avoir pris pour cible.

_ « Pardon, j’ai trébuché » murmura t-il en croisant la jeune femme aux pas pressés avant de sortir, ses mains tremblants sous le coup de l’émotion sans qu’il s’en rendit compte.

 

Episode 5

 

En suivant les indications de la lettre, il se retrouva devant un immense centre commercial qui bien-sur était fermé vu l’heure tardive à laquelle il était arrivé. Il pesta et se mordit la lèvre de dépit. Il était trop tard. Pourtant toutes les autres sorties que l’ignoble inconnu lui avait fixé correspondaient à ses horaires. Il venait simplement après avoir finit d’étudier. Il ne se posait pas de question. Et puis c’était logique. Si la personne le connaissait, et elle le connaissait c’était évident, alors elle devait préparer les lettres en conséquence. Elle le devait, sinon il ne pourrait pas venir. Et elle voulait qu’il vienne. Donc il fallait que le lieu de rencontre, car il espérait bien que cette fois il rencontrerait l’imbécile qui s’amusait à le torturer depuis déjà 3 jours, soit ouvert quand lui était disponible. Il le fallait sinon… Il fut couper dans ses réflexions par le bruit d’un rire féminin. Il était suraigu et nettement forcé, n’importe qui s’en serait rendu compte. Il lui vrillait les tympans et il n’avait qu’une envie, faire taire l’idiote qui produisait ce son insupportable. Il se retourna et aperçu un groupe de trois personnes. Ça devait être eux. Il s’élança donc dans leur direction, près à détruire celle qui l’avait dérangé dans son raisonnement. Il se prit à sourire en les fixant. Et dire qu’ils étaient là, avec leurs vêtements de marque et leurs manières de bobos parisiens, à plaisanter naïvement sans savoir que lui arrivait. Il détestait les gens de leur espèce. Il allait leur faire payer pour celui qui lui faisait subir tout ça. C’était sûrement l’un deux, ou alors quelqu’un comme eux. Il s’en fichait, il ne le supportait plus. Quelqu’un devait payer… Ah ils allaient vite déchanter ces petits prétentieux, toujours à se croire mieux que lui… Ils allaient payer. Mais il s’arrêta net dans sa course folle. Payer ? Et comment donc ? Qu’était il entrain de penser ? Il prit une grand inspiration et tenta de se calmer en serrant ses poings, enfonçant sans y prêter attention ses ongles dans ses paumes. Il devait se contenir. Il ne devait plus être comme ça, il n’était plus comme ça. Il avait changé, il pouvait se contrôler. Il rouvrit ses doigts et vit du sang couler le long de ses mains. Il n’était plus comme ça. Il chercha un mouchoir dans ses poches mais n’en trouva pas, il décida donc d’aller en demander un au groupe de gens qu’il avait faillit agresser quelques secondes plus tôt. Mais ceux-ci se présentaient déjà à un homme qui, à en juger par sa tenue et son air austère, devait être un vigile. Il les jaugea quelques secondes puis les laissa entrer dans un couloir. C’était donc ça, il y avait bien quelque chose, l’inconnu ne l’avait pas laissé tomber. Il se mit à sourire sans savoir pourquoi. Puis il repensa à comment étaient habillés les autres et regarda piteusement sa tenue à lui et ses mains sur lesquelles le sang commençait à coaguler. Il n’était pas comme eux, il n’y avait aucune chance pour qu’il le laisse entrer.

_ « Qui ne tente rien n’a rien » murmura t-il pour lui même avant d’avancer dans la direction de l’entrée. Il devait savoir qui était derrière tout ça de toute façon, et puis il n’était pas venu jusqu’ici pour rien. Il espérait juste qu’il ne fallait pas une invitation ou une accréditation spéciale pour rentrer. Après tout il se savait pas ce qui pouvait se trouver derrière cette porte noire. Cette pensée le fit s’arrêter. Il ne savait pas. Il détestait ne pas savoir. D’habitude il n’allait pas dans les endroits qu’il ne connaissait pas. Mais cela faisait trop longtemps que son esprit n’avait pas trouvé le repos, il lui paraissait qu’il y avait une éternité qu’il n’avait pas dormi vraiment. Enfin il dormait, un peu, mais il ne se sentait plus reposé, il avait l’impression d’être enfermé dans une boule à neige qu’un enfant remuait sans cesse. Il n’en pouvait plus. Alors à cet instant savoir était plus important qu’être prudent. Il soupira en se disant que mourir était certainement plus agréable que vivre si vivre voulait dire se retrouver dans ce tourbillon d’incertitude pour toujours. Et puis, se dit il avec un sourire tordu, s’il pénétrait dans un bâtiment top-secret alors on lui effacerait peut être la mémoire et son problème serait réglé aussi. Pourtant quand il se présenta au vigile, celui-ci le laissa passer sans rien dire et lui désigna du doigt un ascenseur au bout du couloir dans lequel les bobos s’étaient engagés quelques minutes plus tôt. Là bas, un deuxième homme l’attendait, il portait un costume noir et avait le visage fermé. Il ne le regardait même pas dans les yeux. Il appela l’ascenseur sans lui adresser un mot ce qui ne fit qu’augmenter son angoisse. Etait il attendu ? Allait il rencontrer un chef de la mafia ? Mais pourquoi un homme comme ça lui aurait il envoyé des lettres ? Il aurait juste pu mander deux hommes pour aller le chercher et le ramener de force. Il aurait préféré ça aux lettres à vrai dire. Ça aurait été tout aussi horrible, il ne fallait pas se voiler la face, mais au moins ça aurait été plus court et il n’aurait pas eu à passer par tout le calvaire qu’il avait traversé. Puis l’ascenseur arriva, il monta dedans après un signe de tête de l’homme en noir et passa trois étages, il n’y avait pas d’indicateurs ni de boutons clignotants comme c’est le cas habituellement mais il pouvait sentir de légères secousses à chaque changement de niveau. Puis les portes s’ouvrirent sur un long couloir blanc et il lui sembla apercevoir l’extérieur au bout. Il s’avança sans réfléchir, comme mu par son instinct. Cet endroit était simplement parfait, il sonnait la fin, il le sentait. Il ne pouvait pas en être autrement, il était temps. L’angoisse avait laissé place au calme et un sourire se dessina sur son visage. Bientôt il serait enfin libre. Il poussa vivement la porte de verre pour atteindre l’extérieur et sentir ses espoirs se briser comme autant de verres de cristal. Personne ne l’attendait pour lui expliquer. Personne n’était là pour lui. Personne. Ce n’était qu’un épisode de plus dans le jeu sadique de son bourreau. Ce n’était pas encore la fin. Pourtant, quand son regard se posa sur le ville qui étincelait comme jamais il ne l’avait vu, il oublia sa déception. Peu importait alors qui lui voulait du mal, seule comptait la beauté resplendissante qui s’offrait à lui. Il se sentait comme hypnotisé. Il s’approcha du bord de la terrasse et se sentit comme redevenir un enfant. Il resta quelques instants sans bouger à se délecter du spectacle inattendu que cette sortie lui offrait, après tout ce qu’il avait vécu ces derniers jours, c’était comme une bouffée d’air qui s’emparait de son corps. Il se sentait bien. Il avait toujours adoré observer les choses d’en haut, et il n’avait jamais eu l’occasion d’observer la ville comme ça. Grâce au soleil couchant, il pouvait encore discerner les contours des bâtiments mais la nuit qui s’installait doucement lui permettait de voir les petites lumières jaunes qui s’échappent des bureaux, lui rappelant que pendant que lui était là, d’autres travaillaient encore. Il se sentait si grand à cet instant, comparé à tout ces pauvres gens, qu’il avait l’impression de pouvoir les saisir du bout des doigts et de les déplacer où bon lui semblait. Comme un géant qui aurait tous les pouvoirs, et que tout le monde craindrait. Il pourrait appliquer ses règles, ses lois, et alors le monde serait enfin parfait, parfaitement ordonné. Il inspira un grand coup en souriant et tendit le bras en avant comme pour attraper un avion qui passait au loin… Il y était presque, juste un peu plus en avant… Il sentit une pression désagréable sur son bras gauche et se retourna vivement pour voir qui le dérangeait dans son ascension.

_ « Monsieur, tout va bien ? J’ai cru que vos faisiez un malaise, vous avez faillit tomber ! » Balbutia un jeune homme maigrichon qui portait une chemise blanche légèrement ouverte au niveau du col.
Il le détesta immédiatement. Ses vêtements bon chic bon genre, sa montre qui devait certainement valoir plus cher que l’immeuble dans lequel il se trouvait et ses cheveux peignés dans un style « coiffé décoiffé »… Il respirait le type peu intéressant qu’on croise à foison dans cette ville… Tous les mêmes, sortis du même moule, faisant les même blagues… Ils méprisaient les gens comme lui, seulement ils ne le montraient pas. Il dégagea alors son bras brusquement avant de remarquer à quel point il était proche de la rambarde qui longeait la terrasse. Il n’allait jamais aussi près du vide, on ne sait jamais quand ont été faites les dernières révisions sur ce genre de chose, mieux valait ne pas prendre de risque. Mais que faisait il là alors ? Il s’était encore laissé emporté. Il remercia vaguement le jeune homme énervant avant de s’éloigner en direction du bar. Aurait il vraiment pu tomber s’il ne l’avait pas dérangé ? Non, il aurait retrouvé ses esprits comme toutes les autres fois. Il n’était pas fou après  tout, juste fatigué de ne pas avoir eu de sommeil tranquille depuis plusieurs jours. Il allait prendre quelque chose à boire, juste histoire de consommer quelque chose et de trouver cette maudite lettre qui devait sûrement l’attendre quelque part et ensuite il rentrerait chez lui pour se reposer. Il attrapa une carte qui traînait sur le comptoir et grinça les dents à la vue des prix. Comment pouvait on payer autant pour un simple cocktail ? Puis il se rappela la montre de l’homme qui lui avait « sauvé la vie ». Ah oui comme ça. Il n’allait peut être rien prendre en fait, après tout il s’en fichait, il devait juste trouver la lettre et rentrer. Il regarda autour de lui, puis se leva pour faire le tour de la terrasse dans l’espoir de la trouver cachée sous une table ou contre un rebord de fenêtre mais rien. Pourtant elle devait être là quelque part, il ne pouvait en être autrement. Tout ne pouvait pas s’arrêter là comme ça… Il avait besoin de réponses… Il se dirigea alors vers le barman et lui demanda un peu plus violemment qu’il ne l’aurait voulu s’il n’avait pas trouvé une lettre.
_ « J’ai bien quelque chose pour vous, mais on m’a dit de ne vous le donner que si vous preniez quelque chose. »
Il pesta et demanda une petite bouteille d’eau minérale. Au moins elle serait fermée et donc sûre. Il pourrait toujours la boire un jour… Et puis au prix qu’elle lui coûtait, il pouvait même l’utiliser comme décoration chez lui. Il soupira en tendant sa monnaie et remarqua qu’il tremblait. Avait il cessé de trembler depuis hier ? Il ne se rappelait plus. Il n’arrivait pas à s’arrêter non plus. Mais bientôt la vue de la lettre lui fit oublier tout ça et il l’observa les yeux brillants. Peut être était-ce la dernière, peut être y avait il la réponse à ses interrogations à l’intérieur. Il l’ouvrit fébrilement et soupira à nouveau. Elle était comme toutes les autres. Il attrapa sa bouteille d’eau et partit d’un pas pressé en direction de chez lui.
Episode 6

 

Il y était presque, mais il était légèrement en retard par rapport à l’heure de d’habitude, son métro avait été coincé entre deux stations à cause d’un imbécile qui avait décidé de se suicider justement ce jour là à l’heure où lui était pressé. Décidément tout le monde lui voulait du mal. Il accéléra le pas sur les derniers mètres qui le séparaient de son but, l’adresse. Il tourna brusquement à gauche et se retrouva sur une grande avenue. Mais il n’y avait rien. Le numéro donné n’existait même pas… C’était la première fois que c’était comme ça, ce n’était pas logique… Est ce que ça allait juste finir comme ça ? Non il ne voulait pas ne pas comprendre, il en mourrait, c’était certain. Puis il aperçu une petite camionnette autour de laquelle s’affairait un groupe de gens. Il se précipita dans sa direction et fut accueillit par un homme musclé qui lui lança un sac dans les bras.

_ « Vous êtes là pour aider vous aussi ? Vous êtes en retard mais ça va il nous reste pas mal de stock, on manque vraiment de volontaires ces temps-ci, le froid fait fuir tout le monde. Va rejoindre le groupe là bas, si tu te dépêches tu peux encore les rattraper, ils te feront le topos »

Il regarda sans comprendre le sac qu’il venait de recevoir. Il était lourd, que pouvait il bien y avoir dedans ? Dans quoi s’était il engagé encore ? Si ça se trouve c’était des armes, et il allait se faire arrêter pour complicité, impossible d’expliquer aux policiers « non mais j’ étais là parce que j’avais reçu une lettre d’un inconnu qui me demandait de venir, j’étais pas au courant moi… ». Ils penseraient qu’il ment, et même s’il finissait par les convaincre ils le feraient interner. Il devrait peut être songer à se rendre lui même d’ailleurs, présenté comme ça il doutait d’autant plus de sa santé mentale.

_ « Tu es toujours là ? Allez bouge ! Tu veux vraiment finir tout seul toi. »

Il leva la tête en entendant la voix de l’homme musclé et face à son regard noir il préféra faire ce qu’il lui avait dit. Mieux valait ne pas jouer avec le feu, il trouverait un moyen d’échapper à ces trafiquants plus tard. Il se retourna et remarqua que le groupe qu’il devait rejoindre était déjà loin, et il du courir pour les rattraper. Avec le sac dans le bras, cela lui prit plus de temps que prévu et il faillit abandonner sa course plusieurs fois. Mais s’il abandonnait maintenant il ne saurait jamais, et cela lui donna du courage. Quand il fut enfin au niveau des autres il les observa avant de leur parler. Ils n’avaient pas l’air d’être des malfrats, il y avait même des femmes dans le lot qui plaisantaient avec les autres. Mais il ne faut pas se fier aux apparences, elles étaient peut être des machines de guerre entraînées à tuer depuis leur plus jeune âge… Il préféra donc rester silencieux et se dit qu’il improviserait quelque chose pour sauver sa vie quand le moment serait venu, et s’il n’y arrivait pas et bien il mourrait. Ce n’était pas si grave après tout. Ça le délivrerait au moins de la tourmente causée par ses lettres. Le groupe s’arrêta avant de tourner en direction d’une petite ruelle sombre. Ça y est, c’était la fin. Il allait mourir ici, mourir sans savoir. Mais la mort ne vint pas et ils marchèrent jusqu’à un homme qui était allongé par terre contre une bouche d’aération. Deux hommes se penchèrent pour lui parler puis ils ouvrirent leurs sac en lui donnèrent une couverture et ce qui ressemblait vaguement à de la nourriture. Alors c’était ça qu’il faisait ? Le tour des sdfs ? Il soupira. Et bien il n’allait pas mourir ce soir. Il regarda une nouvelle fois les gens autour de lui à la lumière du réverbère. Ils lui paraissaient différents maintenant. Ils avaient nettement le type à aider les plus démunis. Un homme avec une barbe et des vêtements faussement vieux et trop grands, une femme avec des dreads dans les cheveux et un air hippie et trois jeunes filles un peu trop bien habillées pour ce genre de sorties et qui ressemblaient à des faons sur un lac gelé avec leurs talons haut… Ça respirait les dictateurs de bonne conscience qui se vantent sur des réseaux sociaux quelconques sur le chemin du retour que  « bonne soirée bien remplie, ça fait du bien d’aider les autres ! ». Il détestait ce genre de personne. Ils ne faisaient ça que pour se faire mousser auprès des autres. Mais bon au mois comme disaient certains, eux ils aident. De toute façon il s’en fichait de ce qu’ils faisaient, d’habitude il ne les côtoyait pas. Mais là il n’avait pas d’autres choix que de les entendre échanger des phrases toutes faites et insipides. Il aurait préféré que ce soit un trafic d’armes finalement, au moins tout serait allé vite. Cette cohabitation forcée dura pendant plus de trois heures et bientôt il commença à se demander s’il ne s’était pas trompé. Peut être qu’il avait mal lu l’adresse, ou peut être qu’il y avait quelque chose dans l’avenue qu’il avait manqué… Parce que là, il n’avait toujours pas vu l’ombre d’une lettre. D’ailleurs il ne voyait pas comment quelqu’un aurait pu lui en laisser une, il n’était même pas sûr que l’itinéraire était prévu à l’avance… Il en faisait un dernier, juste un, et ensuite il rentrait chez lui. Et il se moquait de ce que diraient les autres. Il était fatigué, il avait froid et demain il se levait tôt. En plus, les sdfs le dégouttaient. Pas parce qu’ils n’avaient pas de travail ou parce qu’ils faisaient la manche mais parce qu’ils étaient sales. Ils étaient sales à vomir… Plus qu’un et il rentrerait. Il reviendrait demain pour chercher la lettre. Et puis si quelqu’un les laisse vraiment pour lui, il fera en sorte qu’il trouve la prochaine pour continuer son petit jeu sordide… Et alors il le coincerait. Il se retourna pour partir, décidé à ne plus se laisser dominer. Maintenant c’est lui qui mènerait le jeu. Il sentit les regards interloqués des autres dans son dos mais il s’en fichait, ils ne valaient pas la peine qu’il perde du temps à leur parler. Pourtant, sur le chemin du retour, il regarda plusieurs fois derrière lui pour voir si quelqu’un ne le suivait pas.

 

Episode 7

 

Six heure. Il se décida enfin à se lever. Il n’avait pratiquement pas dormi de la nuit, incapable de faire taire l’angoisse qui hurlait en lui. Il n’aurait pas du partir si tôt hier, il aurait du attendre la lettre. Il se sentait presque coupable, comme s’il avait trahi la personne avait qui il jouait depuis une semaine. Il n’avait pas suivi les règles et maintenant il était seul. Seul. Ce mot résonna dans son esprit et un sourire déforma son visage. Mais oui, il était enfin seul ! Il resta quelques secondes à regarder le plafond au dessus de lui sans bouger, juste pour profiter du sentiment de satisfaction qui montait en lui. Il était débarrassé de tout, c’était fini. Il n’avait pas besoin de retourner dans les ruelles glauques qu’il avait du arpenter hier. En réalité il ne devait pas y retourner, il valait mieux que ça. Il valait mieux que la personne qui lui faisait subir ça. Il se redressa toujours en souriant et se dirigea vers la machine à café. Le vrombissement habituel du moteur lui rappela cette époque où il n’avait encore aucun soucis, elle lui paraissait tellement loin. Il avait l’impression que cela faisait des années qu’il n’avait pas passé une bonne nuit. Il prit sa tasse et commença à boire son café. Il lui brûlait la gorge mais cela ne le dérangeait pas, ce café avait le goût de la liberté. En regardant le fond de sa tasse, il se demanda pourquoi il avait été autant obsédé par cette histoire, pourquoi il avait suivi le jeu de son bourreau, pourquoi il s’était infligé tout ça… Il ne savait pas. Ces questions lui donnaient mal à la tête… De toute façon il n’avait pas besoin de savoir, ce n’était plus important… Alors pourquoi avait il encore une boule au ventre ? Puis soudain il s’arrêta. Il savait ce qui n’allait pas, il manquait quelque chose, quelque chose de circonstance, ce n’était pas un jour comme les autres, cette matinée était spéciale après tout. Il enfila son manteau rapidement et se dirigea vers la porte. Il allait sortir et pendre un croissant, lui qui ne le faisait jamais… Mais non ce n’était pas suffisant, il voulait plus que ça… Un pain au chocolat oui, pour une fois ! Après tout si ce n’était pas aujourd’hui, ça n’arriverait jamais. A circonstance exceptionnelle, petit déjeuner exceptionnel ! Se murmura t-il à lui même sans vraiment s’en rendre compte. Il se prit même à siffloter en attrapant ses clés. Cela faisait peut être dix ans qu’il n’avait pas sifflé et, après réflexion, ce n’était pas une si bonne idée de s’y remettre, siffler était idiot. Il secoua la tête et franchit la porte d’entrée d’un pas décidé. Il entendit alors le bruit d’une feuille que l’on froisse.

 

Episode 8

 

Il y était presque, c’était le moment, il pouvait l’apercevoir au bout de la rue, sa délivrance. Il voulu accélérer le pas mais il allait déjà trop vite pour ça. Quand s’était il mit à courir ? Il ne se rappelait pas. Ça n’avait pas d’importance. Plus rien n’avait d’importance sauf le rendez-vous qu’on lui avait fixé. Cette fois-ci c’était la dernière, c’est ce qui était marqué. Et si c’était marqué alors ça devait être vrai. Il s’accrochait à cette idée sans pouvoir penser à autre chose. Il s’arrêta devant la porte et s’observa quelques instants dans le vitrine. Il faisait peine à voir. Ses cheveux étaient ébouriffés par sa course, sa chemise n’était plus qu’à moitié rentrée dans son pantalon, tandis que l’autre coté pendouillait négligemment sur sa cuisse. Il portait deux chaussettes différentes que son pantalon trop court laissait voir. Il n’avait pas fait attention en s’habillant ce matin. Cela ne lui ressemblait pas, il ne se ressemblait pas et cela augmenta sa haine. Ce que cette personne avait fait de lui… Il la détestait, et il se détestait. Il serra les dents et tendit la main vers le bouton de porte. Elle tremblait. C’était la fin.

 

Episode 9

 

« Maman, maman, pourquoi il dort au milieu du magasin le monsieur ? Et pourquoi il fait la grimace comme ça, il fait un cauchemar ? »

Sa mère lui mit la main devant les yeux et le réprimanda, elle lui avait demandé de rester dans la salle d’à coté, celle où se trouvaient les livres d’enfants. Elle viendrait le chercher très vite, il ne devait pas s’inquiéter, juste rester sage. Il se retourna et parti en traînant des pieds. N’empèche, il était bizarre le monsieur, il l’avait vu dès qu’il était rentré dans la librairie, il avait l’air d’être en retard et il avait bousculé tout le monde. Il avait parlé au monsieur qui vend les livres en montrant tout un tas de morceaux de papiers et en s’énervant sur le vendeur qui ne comprenait rien. Après, lui, il avait ramassé un de ces bouts de papiers, mais il n’y avait rien dessus, il était tout blanc. C’était bizarre quand même parce que juste avant de tomber, le monsieur avait regardé ces papiers et il avait eu très peur ! Il avait crié encore plus fort. Et puis pouf, il était tombé et s’était endormi les yeux grands ouverts. C’ était la première fois que Thomas voyait ça.
Emile, lui, fixait le plafond de la bibliothèque, il ne voyait plus que les lames de bois qui s’emboîtaient parfaitement, le reste lui semblait comme lointain. Il ne savait pas où il se trouvait, il ne savait pas ce qui se passait autour de lui mais cela n’avait pas d’importance. Il n’existait plus, il n’existait plus que les lames de bois. Et cela lui procurait un étrange sentiment de réconfort. Il connaissait cette sensation, il l’avait déjà vécue. Il se rappelait petit garçon, quand il était allongé dans son lit et regardait le plafond de sa chambre. Il était heureux alors, le stress avait disparu et il n’existait personne pour le surveiller, c’était juste lui et sa vie qui passait doucement. Il se sentait bien. Il se revit ensuite sur le sol de son petit appartement, quand il rentrait le soir et qu’il retrouvait le calme et l’ordre de sa vie, celle qu’il avait choisi. Il était heureux aussi à ce moment là. Et maintenant, il retrouvait enfin ce sentiment de plénitude. Peut être que c’était ça en-fait, ce qu’il aurait du faire toute sa vie, regarder un plafond fait de lames de bois. C’était aussi simple. Il voulait rester ici, ressentir ce sentiment de calme et de bonheur pour toujours. Alors il imprima l’image du plafond et de ses lames dans son esprit et il ferma les yeux. Il garderait cela en lui pour toujours, la paix, enfin.
La mère de Thomas revint le chercher et le tira vers la sortie en évitant soigneusement le corps qui jonchait sur le sol.

_ « Dis maman, pourquoi il a fait tout ça le monsieur ? »

_ « C’est un fou mon chéri, c’est comme ça. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Postface

 

Elle le regardait, accoudée à une étagère de cette librairie, ses lèvres se tordant dans une grimace carnassière. Personne ne pouvait dire ce qu’elle faisait debout là bas. Personne ne pouvait dire depuis combien de temps elle était là. En réalité, personne ne l’avait remarqué dans l’agitation qui s’était emparé de la petite librairie depuis l’incident. Elle, elle ne bougeait pas, elle ne semblait ni paniquée ni inquiète, elle restait juste là à fixer l’homme allongé sur le sol, et toujours sans cesser de sourire. Finalement elle se dirigea vers lui en faisant claquer ses talons sur le sol, d’une démarche qu’on sentait emplie de fierté. Et tout en marchant elle sortit un bout de papier de sa poche qu’elle approcha de ses lèvres. Une fois à sa hauteur, elle s’arrêta quelques secondes, se pencha vers lui toujours en souriant et laissa tomber le morceau de papier. Elle y avait laissé la marque rouge d’un baiser, et sous cette marque, on pouvait lire une adresse.