I racconti del Premio Energheia Europa

Des maux, Emma Dubreucq

Nouvelle finaliste du Prix Energheia France 2023

“Encore des mots / Toujours des mots / Les mêmes mots / Rien que des mots / Des mot faciles / Des mots fragiles / … / Une parole encore / Parole parole parole / Écoute-moi / Parole parole parole / Je t’en prie / Parole parole parole / Je te jure / Parole parole parole parole parole / Encore des paroles que tu sèmes au vent / Voilà mon destin te parler te parler comme la première fois …”

                                                          DALIDA & ALAIN DELON, Paroles, paroles

J’ai toujours écris aussi facilement que je respirais. Chaque mot était aussi naturel que ma banale capacité à respirer. C’est peut-être pour ça que maintenant que je n’arrive plus à respirer, je n’arrive plus non plus à écrire.
Avant, je n’avais jamais réfléchi à mes mots, ils venaient tout seuls, tout simplement. C’était facile, léger. Aujourd’hui, même les mots sont lourds. Ils me pèsent, comme chaque mouvement, chaque respiration, chaque événement me pèsent.

Avant, ils étaient comme une promesse que tout irait bien, une promesse que j’avais encore un refuge, un endroit rien qu’à moi en leur sein. Au cœur de mes mots, j’étais apaisée et sereine, confiante et forte. Mais même cet endroit a disparu, il n’y a plus de havre de paix, tout comme il n’y a plus de mots. La tempête a tout emporté et je ne suis plus qu’un rivage dévasté.

Je n’arrive plus à écrire, tout comme je n’arrive plus à parler, chaque mot est une respiration brûlante qui me coûte autant d’effort qu’un marathon. Écrire une simple phrase revient à souffrir de mille lames.
Peut-être est-ce pour cela que je me sens aussi perdue ? Parce que j’ai perdu un repère qui avait toujours été là. Alors finalement ça aussi je l’aurais laissé disparaître. J’ai oublié mes mots en même temps que je me suis oubliée.

Le monde est devenu oppressant et je suis à bout de souffle, à bout de mots. Dorénavant, chaque mot est un choix que je ne veux pas faire, c’est comme une respiration que je ne peux pas prendre. Pourquoi a-t-il fallu que ces mots que j’aimais tant deviennent mes ennemis ? Pourquoi tout sonne étranger à mes oreilles ? Pour l’instant, je ne les supporte plus, chaque mot qui vient de moi ne me ressemble pas plus que le reflet déformé que je vois chaque jour dans le miroir.

Je crois que mes mots ont déserté quand j’ai perdu le contrôle de mon corps. Ils se sont échappés avant d’en finir prisonnier comme je le suis. Pourquoi auraient-ils voulu rester, alors que mon esprit ne peut plus rien contrôler. Quand mes propres yeux ne sont plus capable de regarder le monde, comment mes mots pourraient-ils réussir à vivre ?

Avant, j’écrivais parce que c’était aussi facile et apaisant qu’une respiration. J’écrivais parce que je voulais créer des mondes et des vies. J’écrivais parce que je savais comment être heureuse au sein de mes mots.
Et maintenant ? Maintenant je me fane. Sans mots je me perds, je m’oublie. Je me cherche dans les mots des autres, je reste silencieuse en attendant qu’ils veuillent bien me revenir. Un jour peut-être. Un jour peut-être j’irai mieux, je respirerai à nouveau et je retrouverai mes mots. Un jour peut-être bientôt. Et je pourrai enfin retrouver cette paix pour laquelle j’écrivais.

Parce que c’est ce que pour quoi je l’ai toujours fait. J’écris pour être en paix.