I racconti del Premio Energheia Europa

Les arbres étaient bleus, Remi Glenisson

Compte finaliste du Prix Energheia France 2020.

 

[De son jardin brûlé par un été sans fin, dans une ville malade, Artur Vérona alla gravir une montagne imaginaire, en quête
d’un peu de fraîcheur.]
Statue: Caius Marius debout sur les ruines de Carthage

Feuilles Bleuets et troncs de rouge cramoisi, enflammés par un été qui n’avait pas trouvé de fin, s’étalant jusqu’à ce mois de mars et desséchant la terres au plus profond des sols. Artur était assoupi à l’ombre, le juvénile visage en sueur, soupirant. Du transate du jardin public, il regardait ces arbres bleus d’un oeil absent, préférant scruter ce qu’il croyait être de la neige, plus haut, sur les monts dépassant les façades d’ivoire. Mais ce n’était que de la mousse blanche posée sur la roche, et il le savait. On avait installé cette mousse sur les monts, il y a longtemps de cela déjà, pour égayer le panorama. Neige, il n’y en avait plus dans la région depuis longtemps.
Artur ferma ses yeux et, endoloris par la chaleur suffocante, il envoya Vérona, son alter-ego imaginaire, dans une étendue plus au nord. Un lieu dans son cerveau où le vent frappait roidement ceux qu’il atteignait, sa glaciale caresse flirtant les peaux fragiles de l’été sans fin. Artur souffla, et se concentra davantage. Le vent devint son et image, des mots, des phrases.
Il reconstruisit tout, du début à la fin. De la fin, vers le début. Vérona ressentit alors la neige sur ses pieds brûlés, et tressaillit en sentant la caresse du froid brûlant. Il fut aveuglé par le blanc de la montage, pic de glace.
Vérona voulut marcher vers la montagne. Il quitta son hôte, le transate et le jardin. Les arbres bleus avaient disparu, tout comme les tours de fer et les façades d’ivoire de la Ville. Il s’éleva de la terre et courut dans les encablures des crevasses naturelles, serpentant vers la montagne. Il enjamba des blocs de roche gros comme une maison, sans effort. Il pouvait bien vaincre un troll que cela ne le gênerait guère. Guère guerre d’esprit. Que pouvait-il bien arriver à Vérona, savant marcher, monter et grimper des montagnes de glace le yeux fermé. Il sautilla et grimpa plus loin dans le passé, celui qu’il
tentait de reconstruire, celui qui avait disparu.
Artur l’arrêta là. Epris d’une neige qu’il ne connaissait guère, il se sentit bête. Ouvrant les yeux, il se leva soupirant du transate brûlant, à l’ombre des arbres bleus. Perdu dans sa mémoire, Il ouvrit son carnet jauni. Une nouvelle page était apparu durant son absence. Interdit, il lu la page.
“ Aujourd’hui, j’ai gravi une montagne. J’ai glissé sur ses blanches pentes rosée par l’aube naissant, dansant au son clair des notes du temps passant. J’en ai fais le tour une ou deux fois, je ne sais plus, et je me suis arrêté pour voir le monde qui m’entoure, le monde se craqueler de chaleur et de fumée noire. […]”
Artur Vérona reposa son carnet. Cela n’avait visiblement pas de sens de continuer à lire les deux pages qui s’était encore ajoutés pendant sa lecture. L’encre ruisselait du carnet, et le surplus s’égouta sur le pavé blanc, séchant immédiatement en des taches noirâtres qu’Artur trouvait perturbante. Il ressortit de sa mémoire et releva la tête. Une petite brise brûlante faisait danser les branches des arbres bleues, en de discrets bruissements.
Il devait bien avoir encore un endroit au frais sur cette maudite planète. Il regarda les monts blancs contrefaits, au loin, et ce dit qu’il valait mieux être là-haut qu’ici, dans ce jardin horriblement ennuyeux et suffocant. Il tourna le regard une nouvelle fois pour scruter les environs: Les arbres, l’herbe sèche, le gravier, les statues blanches aux visages livides. Certaines avait des traits d’enfants, d’autres des traits rabougris. D’autres encore étaient brisés, étalés sur les sentiers. Quelques ombres passantes. Une chien.
Il se rendit compte qu’il haïssait cette endroit. Il referma les yeux et partit sans remord,
laissant ce monde derrière lui.
Pour atteindre les montagnes, il se devait d’abord de quitter la ville. Il choisit de s’engouffrer dans le four ténébreux du métro, direction la périphérie. La rame était presque vide, car rare étaient les personnes suffisamment courageuses pour braver la chaleur ambiante, a la limite de l’intolérable physiquement. La tête sur la vitre, Artur regarda le noir, et les variations de reliefs des câbles et panneaux, blocs électriques et couloirs, formant des ombres sur les parois.
Alors, la vitesse fit sortir le métro du souterrain et Artur de sa rêverie, et le trajet se continua ainsi. Dehors, il n’y avait plus personnes, les trottoirs cuits. La ligne de la carcasse traçait son chemin aux dessus des avenues, à travers les façades d’ivoire et les pics de verres et d’acier. Artur se demanda si ces tours étaient réels. Réfléchissant le soleil, leurs vitres faisaient éclater des reflets de pastels partout où voguait les wagons, dansant entre les flèches.
Soudain, les tours se noircirent et se multiplièrent dans le décors. Artur décolla sa tête de la vitre, soucieux, pour regarder les pointes de ces tours. Le métro passa dans l’une d’elle, et les couleurs s’évanouirent. Elles remplaçaient peu à peu les façade d’ivoire, qui disparurent les unes après les autres. Ces monolithes noirs gagnerent en taille, en hauteures, en virulence, et Artur eu soudain peur qu’elles attaquent les wagons, de leurs imposantes formes, toujours plus inquiétantes, telle une maladie endémique.
Heureusement pour Artur, le métro se rapprocha de la périphérie. Alors qu’il passa soulagée la frontière de la Ville, Il eu soudain la conviction, déraisonnable mais profonde, qu’il était le dernier être humain à quitter la Grande-Ville.
Les tours s’effacerent et le métro continua son chemin dans le vide. Artur sentit ce vide en lui. Il ne voyait plus rien, et crut s’effacer avec la ville qu’il quittait. Il ressentit une légère pression, puis un ralentissement lent de son wagon, qui s’était détachée de l’ensemble. Il s’arrêta en un long et doux glissement. Artur se leva alors de son siège, et ouvrit la porte.
Dehors, Il ne vit rien d’autre qu’une lande de pierre et, plus haut, la montagne. De la, Artur pouvait déjà voir les imperfections des placements de la mousses, qui lui donnait une étrange allure de contrefacons, comme si la montagne elle-meme n’etait pas réel.
Artur se lança dans la marche de sa vie, le gravier et les pierres tranchantes comme des rasoirs ralentissant ses pas. Il monta, monta, monta plus haut encore, en un chemin bien plus dure et fastidieux que celui effectué par Vérona. Il gravit la roche, les falaises ternes, et tenta d’éviter tous ces déchets sur son chemins, qui s’accroisserent au fur et à mesure de son périple. Des bouteilles, des tissus, des meubles, des ustensiles rouillés, des lambeaux de vie perdus. Il retrouva un sentier caillasseux, puis une crevasse qui s’écarta en un petit col, le protégeant du vent de souffre qui battait la montagne.
Quands il ressortit du col, Artur s’arrêta enfin et chercha la neige, tout autour de lui, mais, bien sur, il ne la trouva point. Il n’y avait que cette satanée mousse blanche, balisée par des marquage au sol fait à la hâte avec des bombes à peintures et entouré de détritus divers. Autour des plastiques, voltigeant sans cesse dans les airs. Ses fraîches attentes furent ainsi déçus quand il sentit que l’atmosphère n’avait guère perdu en opacité, et la chaleur avait rendu l’effort terrible pour le jeune citadin.
Le soleil periclita et le flanc de la montagne s’ouvrit alors à lui dans toute cette splendeur
humaine. Il demanda à Vérona ce qu’il en pensait, mais rien ne lui vint à l’esprit. Que pouvait-il bien rêver, en ce lieu où finissait l’Humanité. Il se retourna pour voir plus de mousse et de plastique, une mer à perte de vue. Au loin, très loin, La Grande-Ville, devenus une visqueuse flaque noire dans un paysage devenu malade, la toisait du regard. Il ferma les yeux, et mit un genou a terre, s’écroulant sur lui même.
Soudain, une brise fraîche.
Il rouvrit ses yeux embués de larmes, et regarda le pic, pris subitement dans une brume
hasardeuse et fragile. Artur Vérona se releva et ressentit un frisson lui caresser la peau. Il leva la tête, encore plus haut, vers le ciel devenu laiteux. Souriant, il rouvrit son carnet, sa mémoire d’encre, et en écrivit la dernière ligne.
La neige s’était mise à tomber.