I racconti del Premio Energheia Europa

Ma petite Alouette, Chabela Callol

Finaliste Prix Energheia France 2019

Je t’écris de l’autre côté de l’Océan, le soleil va bientôt laisser apercevoir ses rayons lumineux entre les collines. Depuis quelques jours je me réveille à l’aube et peux ainsi contempler ce spectacle. La brise me caressant les joues, les pieds s’enfonçant dans le sable de la praia do sono, des surfeurs se préparant à danser avec les vagues, je déguste un jus frais de maracuja. Après l’effervescence et le brouhaha des grandes villes je me suis isolée dans ce petit paradis de l’Etat de Rio. Je t’y emmènerai un jour Malone, je te le promets.

Tu nous as vu rêver si longtemps avec Ana de ces terres magnifiques. On avait même travaillé pendant trois étés à la plonge de chez Marcel pour partir ! Puis il y a eu ce soir où elle rentrait de Rennes, elle venait d’avoir son permis, puis cet homme conduisant effréné. J’ai eu beaucoup de mal à me décider lors du grand départ. C’était un voyage à deux, les douze heures d’avion, l’escale à Casablanca, les plages paradisiaques, les randonnées et les cascades nous attendaient, à Ana et moi. On s’était promis ce voyage et m’y voici. Mais on l’a quand même fait ensemble, elle m’accompagnait partout, on est allées au Pain de sucre et admiré les vues, on a goûté leur fameuse cachaça jusqu’à ne plus savoir où était notre auberge, on a dansé la samba… On a même fait la connaissance du beau brésilien dont elle rêvait tant, Lubio, un jeune pauliste qui fait le tour des plages en vendant des bijoux et jouant de beaux airs avec son berimbau. J’ai pensé fort à toi qui fais de la capoeira, je t’y accompagnais tous les jeudis après le collège, t’aurai dû voir ça. On se baladait dans les rues de Sao Paulo puis on est arrivées place de la république, une centaine de personnes, toutes origines confuses, dansaient en transcendance accompagnés par le rythme des musiciens. C’est là qu’on a connu Lubio, il nous a entraîné dans la masse. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés là à danser, à se regarder, à s’embrasser, et à danser encore et encore. Ensuite on a fait la tournée des bars, jusque-là tout se passait très bien, il se faisait tard. Nous sommes montées sur sa mobylette et avons parcouru quelques kilomètres. Nous étions fatigués. La ville était loin derrière nous, de belles montagnes et la jungle s’ouvrait devant nos paupières à moitié fermées, quelques gouttelettes commençaient à nous tomber dessus, le sol devenait glissant. C’était une descente un peu trop forte et le virage fût trop brusque. Je ne sais plus exactement ce qu’il c’est passé, je me suis retrouvée toute seule sur le sol. Du sang ruisselait sur mes jambes mais le casque m’avait épargné. J’étais perdue au milieu de nulle part, Lubio s’était enfui et Ana avec lui.

Et là je me suis retrouvée seule. J’avais frôlé la mort, pas Ana. C’est moi qui avais les jambes ensanglantées, pas Ana. Elle n’était pas là pour me réconforter ni m’aider, il n’y avait personne. C’était à moi de m’en soucier, à moi seule de m’en sortir. Je ne vivais plus pour elle, ni pour papa, ni maman, ni même pour toi. Je ne regrette pas d’avoir été auprès de toi, comme ils n’ont jamais su faire. C’est sûr qu’avec 2,4 grammes d’alcool dès le matin et les seringues qui trainent il ne leur restait pas trop le temps pour nous ! Mais ce n’était pas mon rôle. Me détachant de vous et me libérant du passé je me suis retrouvée avec moi-même, à m’occuper de moi, et c’était même plus difficile que de vivre pour les autres. Je me suis égarée, je me suis retrouvée à errer dans les favelas, j’avais perdu ma trace. Petit à petit j’ai appris à me connaitre et à vivre pour moi tout simplement. J’ai passé quelques mois dans une communauté

dans les montagnes de Maua avec des gens merveilleux. Je les revois de temps en temps, cela fait déjà cinq ans que je suis au Brésil.

Je regrette profondément d’avoir disparue de ta vie pendant toutes ces années, de ne pas t’avoir donné de nouvelles ni signes de vie. Je veux que tu saches que je ne t’ai pas oublié, je pense souvent à toi mon alouette, depuis le premier jour. Tu me manques. C’est moi qui ai migré vers le sud, ce sera bientôt ton tour de déployer tes ailes si tu le souhaites. Je sais que tu es très forte et que durant mon absence t’as du bien t’en sortir même si ce n’était pas chose facile. Tu m’en as sûrement voulu énormément et je comprends, onze ans que j’étais à tes côtés et d’un coup plus rien. Toi seule face au fléau de l’impitoyable société. J’ai essayé de t’écrire auparavant, plusieurs fois même, mais mes mains étaient moites et transpirantes, mon stylo valsait si fort qu’il ne tenait pas entre mes doigts. Je gribouillais des feuilles blanches en vain.

J’ai fini de siroter mon jus de maracuja et le soleil commence à brûler, je vais rentrer au village, je passerai au bureau de tabac acheter des timbres puis posterai la lettre, j’espère que l’huissier ne vous a pas redélogés et que vous n’avez pas changé d’adresse !

Je t’embrasse très fort Malone

Je t’aime