I racconti del Premio Energheia Europa

La vie et l’oeuvre de T.S Parrot, écrivain raté, Emma Dubreucq

Compte finaliste du Prix Energheia France 2020.

 

Ceci est l’histoire d’un écrivain raté. Car, il faut bien se rendre à l’évidence, T.S Parrot était un écrivain raté.
C’était d’ailleurs, à bien des égards, un raté tout court. Il était de ce genre de personne à qui la vie n’a rien à donner de particulier, ceux qui se contentent d’avoir une existence ordinaire et banale, ceux qui n’ont rien à prouver car on n’attend rien d’eux.
Seulement voilà, T.S Parrot voulait faire ses preuves. Il voulait, désespérément, sortir de ce triste anonymat dans lequel sa vie normale l’avait plongé. Il aurait voulu qu’on dise, en le voyant passer,
« Tiens, voilà donc le grand T.S Parrot, quel homme remarquable ! » Car, et vous serez d’accord avec moi j’en suis sûr, c’est le propre de l’homme de vouloir briller aux yeux de ses congénères.
Alors, T.S Parrot se mit à la recherche d’un moyen qui lui permettrait de se faire connaître, à tel point que cette quête de reconnaissance devint bientôt une obsession, il fallait que le monde connaisse son nom et son génie, il fallait qu’on le connaisse à tout prix.
Il est hélas difficile de se révéler au monde quand on n’a rien à lui donner. Que pouvait-il créer, lui T.S Parrot, qui lui permettrait de montrer à ses pairs la mesure du génie qui l’habitait ? C’était une question qui l’obsédait, le réveillait la nuit et lui faisait même perdre l’appétit.
Et puis un jour, il eut une idée qui lui sembla être la plus belle révélation depuis la conversion de Saint Paul. Il allait écrire un livre ! Ses tentatives de se lancer dans la peinture et la sculpture n’ayant pas été très fructueuses, il décida de jeter son dévolu sur l’écriture. Après tout, cela ne devait pas être si compliqué, plein de gens écrivaient des livres tous les jours, c’était à la portée de n’importe
qui assurément.
Alors, fort de cette assurance, il s’empressa d’acheter une vieille machine à écrire et s’attela à écrire ce qui devait être le chef d’oeuvre de sa vie, rien de moins que le chef d’oeuvre que le monde attendait en fin de compte.
Comme il l’avait prédit, c’était chose aisée que d’écrire et il se trouva plutôt doué à cette tâche. Assis devant sa machine à écrire, il écrivait, mot après mot, phrase après phrase, ligne après ligne, paragraphe après paragraphe. Il écrivit pendant des jours et des jours, sans connaître le désarroi de la page blanche, désarroi cruel pourtant bien connu de la plupart des écrivains. Il écrivit encore et encore et c’est ainsi que vit le jour « L’incroyable et passionnante histoire de Mallarius, héros des temps modernes ».
Une fois sa grande oeuvre terminée, il lui fallait encore la faire éditer, aussi contacta-t-il toutes les maisons d’éditions de la capitale à qui il fit parvenir son tout premier roman. Regorgeant de confiance en ses nouvelles capacités littéraires, il ne comprit pas les nombreux refus qu’on lui adressa et se vit claquer la porte au nez par tous les grands noms de l’édition. Une triste fin pour une histoire qui n’avait même pas encore vraiment commencé, me direz-vous.
Cependant, un matin, alors qu’il buvait sa tasse de café noir (car c’est comme ça que le prennent tous les vrais écrivains, noir et sans sucre évidemment) il reçut enfin la réponse qu’il espérait. Bien sûr, ce n’était pas la grande maison d’édition reconnue qu’il avait espéré, mais c’était quand même mieux que rien. Le premier pas vers la gloire qu’il avait tant attendu.
Mais évidemment les choses ne se passèrent pas exactement comme il l’aurait voulu. « L’incroyable et passionnante histoire de Mallarius, héros des temps modernes » fut édité au nombre de deux cent quatre-vingt-quatorze exemplaires, ni plus ni moins, dont deux cent quatre-vint six restèrent sagement dans les rayons des librairies sans jamais être vendus. Seul huit exemplaires furent achetés à cette époque-là. Parmi ces huit exemplaires là, seulement trois furent lus et de ces trois-là, un seul seulement fut au moins moyennement apprécié.
La seule critique qui fut émise à propos de « L’incroyable et passionnante histoire de Mallarius, héros des temps modernes » fut publié dans Le Bouquetin, un petit journal littéraire sans prétention et sans lecteur, par le journaliste et critique littéraire à ses heures perdues Lino Baltringue. Dans un billet bref et légèrement condescendant, Lino Baltringue écrivit ainsi que « la seule chose d’incroyable dans cette histoire est de savoir ce qui peut bien pousser quelqu’un possédant toute sa santé mentale à lire un tel ramassis d’inepties que l’on peut difficilement appeler un livre. »
Évidemment, le livre, tout comme sa critique, sortirent sans faire de vagues et au lieu de la grande révélation qu’il avait espéré, T.S Parrot n’eut droit qu’à une réelle indifférence. Ainsi tourna-t-il en rond chez lui, pendant des jours et des jours, à faire les cent pas devant sa machine à écrire et sa tasse de café vide, fulminant de colère à propos de la bêtise de ses congénères qui étaient incapables de reconnaître le vrai talent alors même qu’on le leur servait sur un plateau d’argent.
Et bien, si sa première oeuvre n’était pas assez bien pour eux, il allait faire encore mieux. Il se remit à écrire, cette fois furieusement, désireux, encore plus si c’était possible, de prouver à tous qu’il était un grand écrivain.
Le résultat fut le même. Refusé par toutes les grandes maisons d’éditions, il ne fut encore une fois édité que par la même petite maison qui avait déjà accepté de publier « L’incroyable et passionnante histoire de Mallarius, héros des temps modernes ».
Et c’est ainsi que « La vie trépidante du voleur et gentleman Archibald Baldrameus » rejoignit son grand frère sur les rayons des librairies. Édité à deux cent soixante-douze exemplaires, dont deux cent soixante-cinq restèrent invendus, « La vie trépidante du voleur et gentleman Archibald Baldrameus » eut bien évidemment lui aussi droit à sa critique dans les pages du Bouquetin. Ainsi Lino Baltringue écrivit cette fois-là : « il n’y a là absolument rien de trépidant dans cette histoire si ce n’est qu’elle est mortellement ennuyeuse ».
Cette critique étant largement moins réussie que la précédente, T.S Parrot se targua d’avoir réussi à écrire un deuxième livre meilleur que le premier. Et c’est ainsi qu’il publia, toujours grâce à la même petite maison d’édition, douze livres, qui furent tous les douze accompagnés d’une critique acerbe dans Le Bouquetin.
A ce stade, on pouvait considérer T.S Parrot comme un écrivain. Mais un écrivain sans
reconnaissance. Et la reconnaissance, c’était bien ce qui lui faisait le plus cruellement défaut. Car après tout, à quoi bon être écrivain si personne n’en avait cure ?
C’était un comble tout de même ! Il avait écrit des livres que presque personne n’avait lu. Ce n’était pas vraiment ce à quoi il avait aspiré. Lui qui cherchait le succès, n’avait récolté que l’indifférence.
La seule chose qui lui était encore plus insupportable que l’anonymat.
Bien sûr il ne lui vint jamais à l’idée que si personne ne lisait ses livres c’était parce qu’il était un piètre écrivain. Non, bien sûr pour lui le vrai problème venait du fait que personne n’était capable de saisir la mesure de son talent.
Si seulement il avait su que cette reconnaissance qu’il avait tant désiré obtenir ne tarderait pas à se présenter à lui dans une manifestation au sens de l’humour douteux et à l’ironie cruelle.
Un jour, alors qu’il venait de commencer son treizième roman, T.S Parrot décida, une fois n’était pas coutume de délaisser sa machine à écrire pour sortir se dégourdir un peu les jambes. Au détour d’une promenade, il décida de s’arrêter pour déjeuner dans une petite brasserie tout à fait charmante qui lui sembla tout à fait propice à l’inspiration. Il s’installa à une table et commença tranquillement à manger, lorsque son attention fut attirée par une table voisine à la sienne, quelques mètres plus loin. Là, posé sur la table, juste devant l’homme qui y était attablé, T.S Parrot reconnut la couverture de son cinquième roman « Le long voyage du Docteur Belamour, explorateur intrépide ». Lorsqu’il était paru, Lino Baltringue du Bouquetin avait écrit dans sa critique que « Le long voyage du Docteur Belamour » était un voyage dont on ne revenait pas.
Mais peu importait les billets rageurs de ce pseudo-critique littéraire incapable de reconnaître le vrai talent, T.S Parrot n’y avait jamais prêté plus d’attention que nécessaire, persuadé qu’il était d’avoir à chaque fois écrit un roman meilleur que le précédent.
Tout excité à l’idée de voir enfin son oeuvre pleinement appréciée, T.S Parrot avala de travers. Hélas, perdu dans ses rêves de gloire, il ne fit pas attention à la taille du morceau de pain qu’il mettait dans sa bouche. Et lorsque le morceau de pain, beaucoup trop grand pour être juste avalé, alla se coincer dans sa trachée, cela en fut fini de la carrière d’écrivain de T.S Parrot. Cela fut fini tout court pour T.S Parrot d’ailleurs.
L’affaire eut sa petite notoriété et lorsque, quelques jours plus tard, l’identité de « l’homme qui s’était étouffé avec un morceau de pain » fut finalement connue, et qu’il fut révélé qu’il était en réalité un écrivain ayant publié pas moins de douze romans, les gens commencèrent, curieux, à chercher ses livres dans les librairies. Après tout, il s’agissait de cet homme qui s’était étouffé avec un morceau de pain, une bien triste histoire, aussi triste que ridicule. Un simple morceau de pain, pensez-vous.
Bientôt, les livres de T.S Parrot se vendirent comme des petits pains, pardonnez-moi cette expression malencontreuse, jusqu’à l’épuisement des stocks. Et bientôt, on ne parla plus que de lui dans toutes les librairies. Et comme il est de bonne coutume de ne pas dire du mal des morts, on s’accorda pour dire que T.S Parrot était un des meilleurs écrivains de son siècle. Bien qu’incompris de son vivant, son talent avait finalement la reconnaissance qu’il méritait.
Cet homme, quel génie vraiment !
Un si grand talent, quel perte cruelle pour la littérature !
Et c’est comme ça que le nom de T.S Parrot fut sur toutes les lèvres. Ainsi que celui de Lino Baltringue. Mais si, le critique qui n’avait pas su reconnaître le vrai talent, quel idiot celui-là vraiment !
Finalement, la reconnaissance à laquelle il avait tant aspiré ne lui fut accordée qu’en raison de la façon stupide dont il était mort. L’être humain est avide de petits détails, voyez-vous, comme par exemple la taille d’un morceau de pain coincé dans une trachée.
Voilà donc une leçon que T.S Parrot n’eut pas le loisir d’apprendre. Vous n’êtes que trop bon seulement quand vous êtes morts.