I racconti del Premio Energheia Europa

La vision d’un bazar, Fru_France

_ Prix Energheia France 2016.

bazaarCette jeune fille, je la vois tous les jours. Je pense qu’elle me voit mais sans jamais me remarquer, ou du moins sans jamais le montrer. Elle ne le montre pas car elle est toujours absorbée ailleurs, dans ses pensées. Souvent, elle a le nez en l’air, observant le ciel, les nuages, le haut des immeubles ou la lune, elle marche, toujours de ce même pas rythmé, léger. Ces jours-là, un sourire discret illumine son visage, mais ce sont les jours de pluie que ses yeux se mettent réellement à briller. Jamais je ne l’ai vu tenir un parapluie. Un jour, j’ai même pu l’observer marcher, tranquillement, sous une pluie d’été battante. Une simple robe légère la recouvrait, des sandales aux pieds et le bonheur sur son visage.
Toujours, ce sont la nature, les éléments qui semblent l’interpeller, la fasciner.
Certains jours, un côté plus sombre apparaît sur son visage. Ces jours-là, ses pas se font plus rapides, son visage se tourne vers le sol, le sourire discret n’est plus visible aux coins de ses lèvres. Ces jours-là, son visage est fermé, elle paraît alors perdue dans ses pensées. Mais de temps en temps, ces jours-là, elle lève la tête, croise la lune de son regard, se remet à sourire et ses yeux s’illuminent à nouveau.

 

Ma vie tel un passage parisien, comme une métaphore, ma métaphore.
Il y a surtout des livres. Des bouquinistes dont les marchandises s’étalent sur des rayons en bois poussiéreux, éclairés avec juste assez de lumière pour pouvoir distinguer le titre des livres. On est pas vraiment ici pour flâner, dans ce vrai bazar, délire personnel. Mais pourtant, l’emplacement de chaque livre est connu, et toujours là quand on aura besoin de le trouver. Peu importe où s’en vont ces livres quand on n’y prête pas attention, quand notre mémoire d’eux s’efface doucement. Il y a le choix dans les thèmes. De la philosophie antique à la théorie de l’art jusqu’aux nouvelles théories féministes. Anglais, français, allemand. Des rayons, de quoi se perdre pendant des heures parmi de vieux amis dont on peine encore à saisir l’argument, celui qui se dérobe encore à nous. Et on reste là, bien caché dans la pénombre, chez les bouquinistes du passage.
Il existe aussi une échoppe où l’on peut redonner toute chose dont on ne supporte plus l’existence ou la proximité. Peu importe la taille, ou le poids, ou les années d’utilisation. Reprise des biens sans condition, sentiment de regret non­inclus.
Il y a aussi des magasins d’antiquités. Du dehors, on peut distinguer à l’intérieur plein de bric à brac, mais au final, ce qu’on distingue surtout c’est son propre reflet dans la vitre du magasin. Comme la vision d’un bazar qui nous ramène à notre propre conscience. Rien que d’essayer de donner une description du bazar serait éprouvant, déprimant, éreintant. Vision déchirante. Quand se donnera­t­on enfin le mal de mettre de l’ordre dans tout ça ?
Peut­être que ce joyeux bordel a finalement sa place dans le passage personnel. Personne n’a à y toucher, c’est ainsi et sans doute mieux comme ça.
Un cinéma où l’on peut découvrir des films qui nous prennent aux tripes. A l’entrée, on vend du pop­corn qui ne fait pas de bruit quand on le mâche, pour ne pas déranger les autres spectateurs pendant le film. Les sièges sont équipés de distributeurs de mouchoirs, car il va sans dire que l’expression des émotions est la chose la plus naturelle qui soit.
Tout au bout du passage, il y a aussi une brasserie. Pas trop grande pour rester conviviale. La lumière y est chaleureuse et le brouhaha reste un bruit de fond qui ne monte pas à la tête. On y sert des plats faits avec amouret quand la nuit tombe,l’endroit devient un repère où chaque personne cherchant un minimum de conversation intellectuelle et un maximum de retour sur investissement quant à ses dépenses alcoolisées peut venir trouver refuge. On y parle de sujets d’actualité avec intérêt, mais aussi de choses plus abstraites et intimes. L’alcool aidant, il est facile de trouver quelqu’un qui comprend.
Qui comprend ce qui se passe dans le passage, qui la comprend comme une carte, un cabinet de curiosité mental ou chaque chose à son sens, mais fait pourtant partie d’un univers instable et en perpétuelle évolution.