I racconti del Premio Energheia Europa

La plage, Melissa Foust


Finaliste Prix Energheia France 2019

JE – Helena

Un froid de canard. J’ai entendu cette expression un bon millier de fois, mais à cet instant je la vis. Mon environnement extérieur est entièrement hostile. Je ne peux pas m’empêcher de penser que je ne suis pas sensée être ici.

ndt. HOSTILE. Qui est fermement opposé à quelque chose- ou en l’occurence à quelqu’un. Synonyme : ennemi.

Comment vivre dans un environnement hostile ? Pourtant on trouve de la vie partout sur cette planète, quelque soit l’environnement, la vis s’adapte même quand on pense que c’est impossible.

« Clack, clack, clack… » c’est le bruit de l’appareil photo d’Alex derrière nous.

Est ce qu’on verra cette hostilité sur les photos ?

« Clack, clack, clack…»

Est-ce-que c’est moi qui débloques ou Alex lance un rythme ? C’est un rythme à la mer. Mais je l’attrape. Une petite, vraiment toute petite mélodie, gratte le fond de mon crâne. Je peux presque la sentir. Elle grandit et se précipite dans ma tête. Je vois bien ce qu’il se passe. C’est une attaque mélodique. Non c’est la tempête. Elle balance ma tête doucement, puis entrainent mes épaules et je danse. Le froid me fait trembler. Des secousses régulières, parfois frénétiques. Je ne sais plus si je danse ou si je me bats.

Je danse pour me battre.

Je me bat contre le temps, contre l’environnement.

Je regarde Pierre. Ses yeux sont si vifs.

Ils sont d’un gris aussi agité que la mer et les nuages.

Et je continue de danser.  

La mélodie viendrait-elle de lui depuis tout ce temps ?

TU – Alex

Tu as voulu immortaliser la plage. Mais, pas la plage calme et ensoleillée avec son sable fin que l’on imagine à la simple prononciation du terme. Non. Tu n’es pas un publicitaire Alex, tu n’attendra pas que le ciel se découvre. La mer est agitée et le vent glacial, il te mord le visage et ébouriffe tes cheveux. Le soleil ne parviendra pas à percer la couverture de nuages gris. Seulement quelques chaises de bois sur le sable humide te servent de décor. Ils ont tous les deux pris place dans ce paysage désolé.

Helena, tu t’assois sur une chaise, et ton regard se perd dans les vagues. Emmitouflée dans ta polaire foncée, ta silhouette se détache du ciel gris, dessinée de manière approximative tel que tes cheveux noirs ne forment qu’un ensemble avec tes vêtements.

Pierre, tu es sur le point de t’assoir, mais ton regard est attiré par le lointain, tes yeux croisent la ligne d’horizon. Le temps est comme figé, tes mouvements durent une éternité, tes jambes se fléchissent, une bourrasque te coiffe et tu restes un instant comme cela. Entre deux, entre le sol et le ciel, perdu dans le vague. Voilà. Un instant gravé dans l’éternité, immortalisé comme si tu étais gelé, paralysé par ce froid pénétrant.

Alex, tu les mitraille de photographies, leurs mouvements sont découpés comme dans les dessins animés en stop motion. Peut-être que tu finira par faire une animation de tous ces clichés.

Tu vois que Pierre a fini par s’asseoir sur une chaise. Tu l’observe contempler la mer. Il se tourne vers Helena qui s’apparente désormais à un gros rocher noir, solide sur sa petite chaise. Elle a l’air sûre d’elle pendant que ses cheveux se chamaillent avec le vent. Une force incroyable émane de cette femme. À ses cotés, Pierre semble plus léger, tu penses que la tempête risquerait de l’emporter.

Le vent s’engouffre dans tes oreilles et siffle comme un serpent. Tout au fond de toi, un rythme enfle. Le va et vient des vagues lui répond. Le bout de ton pied droit se met à taper le rythme comme pour l’encourager. Les bourrasques te déstabilisent, tu te penches au gré du vent.

Tu tapes du pied de plus en plus fort pour ne pas perdre ce rythme qui t’inspires. Tu l’entend dans ta tête, tu as le rythme d’une batterie, la caisse claire résonne dans ton esprit. Soudain, elle t’envahit. Tu ne sais pas comment l’appeler. On dirait une vague d’énergie qui se répand dans ton corps.

Tu jette un coup d’oeil aux chaises, le mouvement langoureux d’Helena attire ton regard sur l’objectif, elle balance ses épaules comme si une mélodie l’appelait sur la piste de danse. Alors tu la mitraille et tu es sûr de la beauté des clichés.

IL – Pierre

Mais qu’est ce qu’il est venu faire ici ? Vraiment ? On dirait un rituel, l’exemple d’une culture en perdition. « Vous savez, Plus personne ne s’assied sur ces chaises de nos jours. Nous sommes les derniers fidèles à se retrouver sur la plage avant la tempête. » Il a envie de rire. « Oh, jadis, nous étions un bon troupeau de personnes à s’assoir sur des chaises » Il avait dit cette phrase dans sa tête en empruntant la voix d’une mamie édentée. Et il se dit que ce n’est pas une phrase facile à dire. De fierté, il hochait doucement la tête. Cela avait attiré l’attention d’Helena, qui lui jetait maintenant un regard plein de perplexité. Il se mit à fredonner, avec la douceur d’une chanson familière. Une mélodie si douce que son ennemi la rendait presque inaudible: le brouhaha du vent avait pris le dessus. Pierre s’assit et redoubla d’effort. Les plaisanteries qu’il se faisait à lui-même semblaient être un sacrilège, le ciel était en colère et les avaient tous convoqués sur la plage. Quelque chose bougeait. Juste là, à sa gauche, c’était une ondulation si fluide qu’elle semblait rendre l’air plus doux. Le ciel là nous dispute, ça va gronder.

Une tempête était entrain de se lever. Aucun doute possible.

Les bourrasque transformaient la performance en un dialogue, ils voulaient exulter, danser, chanter, mais l’environnement n’allait pas se laisser faire si facilement. Ils étaient sur la plage, les pieds presque dans l’eau. C’étaient des durs à cuire. Aucun individu sain d’esprit ne ferait quelque chose comme ça. Qui aurait l’audace de sortir des chaises en bois sur le sable et de s’installer pour voir une tempête faire un carnage? « Le groupe Tourisme de Plage vous propose une expérience immersive et …rafraîchissante. » Regardez, il est pas bien là, Pierre ? Avec sa petite veste, il a même pas froid, il ne sent plus rien de toute façon.

NOUS

Nous n’avions pas tort tout à l’heure de dire que cela ressemble à un rite. Des gens qui se retrouvent sur la plage, qui partagent l’énergie de la nature, entrent en transe et partagent les mêmes pensées. Peut-être sommes nous fous d’affronter la tempête à même la plage. Nous sommes une équipe, un troupeau, un horde. Mais avec seulement trois personnes peut-on prétendre à une coalition de ce genre ? Peut-être ne sommes nous que des étrangers, partageant un moment de leur vie avant de retourner chacun sur son chemin. Trois étrangers qui se sont croisés au détour d’une intersection, qui ont décidé de continuer le chemin ensemble. « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Nous connaissons tous cet adage. Notre but est d’aller le plus loin possible, seul ou en groupe. Cependant, rappelons nous que l’humain est une créature sociale, elle a besoin d’être avec autrui pour s’épanouir. Elle a besoin d’être avec autrui pour être forte.  Nous sommes liés les uns aux autres, comme une abeille à sa colonie.

Mais attendez un peu. Peut-être que nous vous menons en bateau. Il se peut que nous soyons des dizaines derrière la caméra et qu’en réalité nous soyons une horde. Si nous étions des publicitaires, ce serait normal d’être une vingtaine de personnes derrière l’objectif, chacun à vouloir ajouter son grain de sable, à avoir un effet sur le produit.

Cependant, comme nous vous l’avons précisé plus tôt: nous ne sommes pas des publicitaires.

VOUS

Vous vous demandez surement quel est le but de tout ceci. Pourquoi faire une session de photographies sur la plage en pleine tempête ? Soyez patients, tout ceci prendra sens dans très peu de temps mais il faut que vous vous accrochiez.

Vous devez toujours vous accrocher dans la vie, à une planche par exemple si votre navire a coulé, aux branches si vous tombez d’un arbre, à la balustrade si on essaye de vous jeter d’un immeuble. Accrochez-vous à la chaise de bois si les bourrasques soufflent trop fort. Accrochez-vous à votre volonté sinon elle pourrait bien disparaître, emportée par le vent, par la tempête qui fait toujours rage quelque part, sur une plage bien déserte. Vous vous dites surement que parfois les plages qui connaissent la tempête ne sont pas désertes. Dans certains cas, les gens se font emporter aussi et c’est une tragédie. Il faut donc s’accrocher à l’espoir quand celui-ci se tarit. Ne lâchez pas l’espoir et ne lâchez pas la volonté, c’est très important. Souvenez-vous que vous êtes manipulable, que vous ferez surement des choses que vous ne vouliez pas faire et que parfois vous serez fiers de vous même et d’autres fois bien moins.

Soyez donc prudents lorsque vous vous baladez sur la plage, méfiez-vous des tempêtes et des groupes de gens qui posent et prennent des photographies. De manière générale, méfiez-vous des publicitaires. Surtout s’ils sont sur la plage.

ILS

La tempête s’intensifiait, si bien que sa violence les avaient fait se lever. Leurs chaises étaient tombées à la renverse seul l’appareil photo était encore debout à la verticale. Alex luttait pour garder sa position, il cherchait à se transformer en un rocher lui aussi. Les deux modèles, debout face à la mer semblaient lutter contre une force invisible. De temps à autre, quelques notes s’accrochaient au vent et parvenaient aux oreilles de chacun. Ils résistaient, ils refusaient de partir sans se battre. Ils savaient bien qu’il fallait se méfier des plages et des tempêtes, mais ce jour-là c’était différent.

Ils capturaient la bataille, enfin le photographe réussissait sa tâche plus ou moins convenablement puisque les gouttes de pluie brouillaient l’image par endroit. Les photos pourraient bien être floues, ils se souviendraient du sentiment qui les habitaient lorsqu’ils se sont transmis une mélodie, lorsqu’ils se sont battus contre l’environnement. Ils restaient en place, luttaient, chantaient, dansaient par moment, si bien qu’on ne savait plus s’ils se battaient gracieusement ou s’ils dansaient violemment.

Ils avaient immortalisé la plage, mais pas la plage de sable fin et son eau turquoise. Non. Ils n’étaient pas de publicitaires et ils n’étaient pas vingt. Mais ce jour là, ils ont réussi à se battre ensemble contre un ennemi omniprésent et hargneux. Ils étaient une horde ce jour là.

Fin.