I racconti del Premio Energheia Europa

Pygmalion_ Vincent Roy-Di Piazza, Parigi

Prix Energheia France 2017

 

Pygmalion, ou précis de pensée corrélative, est une analogie amoureuse d’Henry De Vaux (1991-2017) poète éploré, cherchant à comprendre l’échec de sa relation avec la nymphe Chrysis, dans la lecture des vers du livret Pygmalion (1748), composé par Jean-Philippe Rameau. L’œuvre de De Vaux, écrite en 2012, est unique en son genre, et inédite tant en forme qu’en contenu.

Dans cette transcription comparative, Henry interroge, sur papier vélin blanc, les quelques troublants parallélismes de son histoire avec celle du démiurgique Pygmalion Raméal. Et tandis que la trame se dessine, les faits lentement se déforment, pour épouser les contours du mythe, dans l’espérance d’une fin plus heureuse.

Il faut dire qu’Henry, dont l’esprit ne fut point en toutes choses exempts d’erreurs, était déjà coutumier de semblables entreprises de correspondances. Il avait cherché en vain pour Tryphée, sa première nymphe, une herméneutique scripturaire dans les lignes des Caprices de Marianne de Musset. Pour Béryl, aux yeux transparents, il avait épuisé l’Eurydice d’Anouilh, dans une folle quête d’explications. C’était sans compter sur l’abnégation mise par l’existence à contrecarrer ses tentatives.

A chaque femme une histoire, et son équivalent exégétique donné par le ciel. Restait à Henry d’éplucher la littérature classique afin de trouver l’œuvre idoine, celle permettant d’épouser le grand-œuvre, l’Aphrodite dans laquelle il lirait comme un livre.

Les cabalistes chrétiens de la Renaissance ne parlaient-ils pas du Liber Scripture, complémentaire du Liber Mundi ? Pour De Vaux comme pour Agrippa, Ricius ou Borgonovo, l’univers tout entier est un livre. L’unicité de la création implique une continuité ontologique parfaite à travers la hiérarchie des êtres. Tous les niveaux d’existence au sein de ce réseau d’analogies se reflètent les uns les autres. A chaque fois le niveau inférieur est réfraction du supérieur ; ceux-ci possèdent essentiellement les mêmes vertus, caractéristiques et propriétés. Seul l’ordre d’intensité et de dimension diffère.

Dès lors il semble évident à Henry que les concordances entre certains récits romanesques et les évènements de son existence ne peuvent considérées comme de simples coïncidences. Pour l’homme avisé, les uns serviront à décoder les autres.

Les feuillets suivant ont été retrouvés dans le premier tiroir du bureau d’Henry. Il s’agit d’un commentaire analogique de versets du Pygmalion de Jean-Philippe Rameau. Henry y interprète chaque vers comme une instruction sur sa relation avec Chrysis, qui l’a, semble t-il, récemment quitté. Dans certains cas, elles sont perçues comme des indications dont il lui conviendrait de tenir compte ; parfois, comme des liens à établir avec une situation vécue. Ces analyses, bien que fragmentaires, jettent une lumière nouvelle sur la personnalité de H. De Vaux, dont je suis, comme vous le savez, un spécialiste et admirateur patenté[1]. La fascination de ces versets naît de ce qu’Henry les dissèque afin de résoudre ses propres tourments. L’œuvre ne semble exister que pour révéler, près de 350 ans plus tard, sa signification dans la relation à Chrysis. Le Pr. Randström, qui se targue d’une compréhension de De Vaux excédant largement mes compétences, serait sans doute surpris de l’aboutissement du processus de pensée exprimé dans ces lignes, et j’espère bien, conséquemment à cet article, que mon manuscrit d’analyse de ces feuillets sera reçu par l’Académie des Lettres.

Voici quelques extraits tirés des premiers versets de Pygmalion, exemplifiant le modus operandi de notre auteur :

Fatal amour, cruel vainqueur, quels traits as-tu choisi pour me percer le cœur ?

Les traits de Chrysis, dont mes rêves revêtaient le visage. Et ses mots, un soir du nouvel an, qui ont broyé le cœur de mon cœur.

Pygmalion…

C’est ainsi qu’elle m’a appelé, comme une insulte. Par cette action, elle lie notre histoire à ce livret, à cette prophétie qui devient ma clef.

On voit ici deux occurrences de liens entre histoire fictionnelle et évènements de la vie d’H. De Vaux. Le soir du nouvel an réfère à la date de rupture. On sait peu de choses de Chrysis, si ce n’est qu’elle était jeune lorsque De Vaux l’a connue et qu’il a nourri à son égard une passion sans mesure. Ils se sont rencontrés en Autriche ; De Vaux donnait conférence comme jeune auteur à l’Institut Français d’Innsbruck ; Chrysis était de passage, venue avec sa classe de Højskole visiter les palais de Sissi. Ils se parlèrent le jour même, De Vaux décrit sa rencontre dans l’Ordalie, court poème rédigé la même année –dont je publierai bientôt un premier fac-similé-. Chrysis repart le lendemain dans un royaume du Nord où elle avait ascendance. C’est lors d’une première visite boréale d’Henry, à la Noël, que la rupture fut consommée. Elle marque le début de sa période noire, qui fascine les critiques. La valeur de ces feuillets inédits, détaillant la genèse de cette souffrance fondatrice, est inestimable.

Pygmalion, est-il possible que tu sois insensible aux feux dont je brûle pour toi ? Cet objet t’obsède sans cesse. Peut-il t’arracher ma tendresse, et te faire oublier… ?

Céphise n’est qu’un aspect de Chrysis, toute à la fois mortelle, charnelle et hiératique. Cette partie de Chrysis m’aime encore, elle préexistait à notre rencontre.

Céphise, plaignez-moi. N’accusez que les dieux, j’éprouve leur vengeance ! J’avais bravé l’amour, il cause mon tourment

Il y a une certaine duplicité dans ces excuses. Tout comme j’ai parfois rejeté sur la providence certains de mes manquements. Le vers souligne cependant que je suis victime.

Tu voudrais te servir d’un vain déguisement pour me cacher un amour qui m’offense

A prendre en compte. Sans doute a-t-elle parfois éprouvé quelques soupçons quant à ma constance. Ces suspicions ont-elles joué un rôle que je n’imaginais point ?

Tel est l’effet du céleste courroux, qu’il m’impose la peine d’une flamme frivole et vaine, et de soupirer pour vous !

Pygmalion ment à Céphise, il la méprise. J’ai menti à cette part de Chrysis qui m’aimait inconditionnellement, car il dans la nature du désir de s’attacher à ce qui ne peut être. La statue, c’est la Chrysis que j’ai façonné, tant à l’image de l’amour que de ma perfection.

De Vaux reconnaît qu’il a été infidèle à Chrysis ; sa position de victime semble difficile à justifier. En interprétant Céphise et la Statue comme deux aspects d’une même femme aimée, il contribue à proposer une relecture du mythe, faisant écho de manière troublante aux énigmatiques circonstances de sa propre mort.

D’où naissent ces accords ? Quels sons harmonieux !

Chrysis aimait chanter. Le vers réfère sans doute à ses chansons.

L’Amour forma l’objet dont mon cœur est épris, reconnais à mes vœux l’ouvrage de ton fils, lui seul pouvait rassembler tant de charmes !

J’ai cherché à modeler Chrysis à mes critères de perfection.  Elle était jeune et malléable. Je ne voulais que son bien.

Cet objet si cher, respire, tient la vie des feux de ton flambeau divin

A la manière du sculpteur qui révèle la forme dans la pierre, Chrysis n’était qu’une petite sotte coincée, dont j’ai révélé la femme, dans sa chair d’enfant.

L’amour triomphe ! Annoncez sa victoire !

Se pourrait-il qu’elle m’aimât encore ?

Ce dieu n’est occupé qu’à combler nos désirs, on ne peut trop chanter sa gloire

[il la trouve dans nos plaisirs

Comment louer les dieux des jouissances de Chrysis, que mes seules attentions ne sauraient satisfaire ? J’ai le cœur lourd, ses langueurs m’ont assoiffé d’âmes frivoles. Les dieux m’engageraient-ils à cueillir les douceurs de la vie ?

De Vaux laisse entendre ses étreintes avec Chrysis (« j’ai révélé la femme, dans sa chair d’enfant ») Pourtant, en recoupant les informations de leur correspondance, tout laisse accroire qu’ils n’auraient jamais consommé, la faute à un calendrier contraignant et à un manque d’intimité chronique. Il est donc probable qu’Henry fantasme leurs ébats, ou mélange leur histoire avec une ultérieure, l’épisode de Chrysis gardant pour lui de forts accents d’inachevé. Je soutiens que son aliénation semblerait difficilement justifiable autrement, une hypothèse que j’ai défendue l’année dernière au colloque De Vaux contre l’avis de Randström. Par ailleurs l’on trouve ici plusieurs exemples d’analogies confuses : Henry s’ingénue à n’ignorer aucune strophe, chacune étant censée contenir une signification liée à sa propre histoire. Chrysis devient le dénominateur commun à toute action, même lorsque le livret ne fait que céder à l’œuvre, un acte de ballet de style français typique du XVIIIe siècle.

Que d’appas ! Que d’attraits ! Sa grâce enchanteresse m’arrache, malgré moi

[des pleurs et des soupirs

Chrysis était si belle. Lorsqu’elle pénétrait un lieu, le temps suspendait son cours, tous se retournaient. Je soupire de l’imaginer dans les bras d’un autre.

Insensible témoin du trouble qui m’accable, Se peut-il que tu sois l’ouvrage de ma main ?

Ai-je créé cette situation, ou a-t-elle seulement suivi mes prescriptions ? Lui ai-je mis l’épée dans la main ?

Oui, je ressens de l’amour toute la violence

Nocturnes sanglots. Les jours ont perdu tout éclat. Je bois jusqu’à vomir. J’ai le regard vague, une hébétude pleine d’absences.

Dieu ! Quel égarement, quelle vaine tendresse… !

Je ne sais plus où j’en suis. Je n’en peux plus de désirer, j’ai honte.

On relève ici deux indices soulignant l’émergence d’un alcoolisme latent et la honte du désir, un thème récurrent dans les écrits de période noire.

Ô Vénus, ô mère des plaisirs ! Etouffe dans nos cœurs d’inutiles désirs

Chrysis, mon âme, je souffre de mes vains acharnements Je te harcèle. Tu me méprises et je me meurs de honte.

Pourras-tu condamner la source de mes larmes ?

Aujourd’hui, cinq années, brûlées pour rien. Primidi 1 Décade 10, Nivôse 226 !

Prenez soin d’un destin que j’ignore. Tout ce que je connais de moi, c’est que je vous adore

Chrysis mon âme, ta sensuelle incarnation m’invite à croire encore. Qui sait si tes lèvres inertes n’auraient pas en elles quelques étreintes rémanentes, attendant l’invitation d’un dieu ami ?

Le vers Aujourd’hui, cinq années, brûlées pour rien semble référer aux cinq années ayant suivi la rupture avec Chrysis. Elle indiquerait donc que le Pygmalion de De Vaux ne fut pas achevé en 2012, mais commencé en 2012 ! Et qu’il fut même terminé la veille de la mort d’Henry, le 21 décembre 2017 (dont Primidi 1, Décade 10, Nivôse 226 constitue l’exacte équivalence en calendrier révolutionnaire français). La dernière partie, plus orale et interjective, marque l’émergence de l’apostrophe directe à Chrysis. Et tandis que l’avilissement se fait plus prononcé, les mots de la Statue amènent un motif d’espérance salutaire. Suite à ce dernier feuillet, il manque l’ultime page, arrachée au manuscrit.

Il me faut maintenant partir en quête de la suite de ces notes. Il me semble clair, n’en déplaise à certains collègues, que Chrysis n’est qu’un pseudonyme. J’ai retrouvé, chez un collectionneur privé de Copenhague, certaines des dernières lettres d’Henry De Vaux, dont les données pourraient changer bien des interprétations. Randström, dont la carrière académique se résume généralement à dénigrer mes travaux, criera surement aux faux. Mais mon instinct de chercheur ne me laisse point sans ressources, et j’ai pour atout de connaître, d’une manière bien à moi et insoupçonnée de beaucoup, certains acteurs clefs de cette histoire.

[1] Je vous renvoie, pour de plus amples informations, à l’ouvrage de référence dont je suis l’auteur, publié chez Parousie en 2016 : GAYDELIN, Daniel (2016) M.A., Ph. D, Pr. : Henry De Vaux, Apocatastase littéraire. Parousie, Paris